De très nombreuses questions nous sont posées pour interpréter certains rêves. Il convient donc d’examiner ce que sont les rêves, comment ils peuvent être interprétés et comment ils se dissocient des songes notamment dans la Bible.
En préambule, il est vivement conseillé de ne pas rechercher à interpréter ses rêves et l’Église, en ses 2000 ans d’existence, ne s’y est jamais risquée. Orienter sa vie consciente en fonction de ce qui se manifeste dans les rêves est intrinsèquement problématique car les rêves ne sont pas guidés par la rationalité, mais reflètent plutôt une multitude d’influences difficiles à catégoriser avec certitude.
La nature des rêves
Un rêve est une activité psychique illusoire, notamment de nature visuelle, qui se produit pendant le sommeil. C’est essentiellement un phénomène psychologique mais dans lequel on peut voir de nombreuses implications philosophiques, religieuses et morales.
Les découvertes scientifiques sur les rêves ont montré qu’ils impliquent la perception, l’imagination créatrice et reproductive, l’association d’idées et d’images, la mémoire et l’émotion. La pensée et le raisonnement peuvent également se produire dans les rêves, mais à un niveau superficiel et non critique (ceci est important par rapport à la pertinence morale de ce que l’on fait au milieu d’un rêve). Parfois, on est conscient d’un type de « choix » dans les rêves – comme la résistance à la tentation ou l’acceptation de celle-ci –. Cependant, ces « actes volontaires » survenant dans le rêve ne découlent pas d’une capacité de décision libre, mais plutôt d’habitudes comportementales et de réponses automatiques. Les pouvoirs critiques de l’esprit tels que les tests de réalité et la prise de décision sont fortement altérés dans le rêve, ce qui explique la nature incohérente et chaotique de nombreux rêves. De la même façon, les rêves érotiques, qui peuvent même provoquer un orgasme tant chez l’homme que chez la femme, ne sont pas des rêves « coupables », la responsabilité de la personne n’étant la plupart du temps que très faiblement engagée.
Les causes des rêves peuvent rarement être attribuées à un stimulus externe ou interne bien défini. Au contraire, ils sont provoqués par de nombreux facteurs interactifs de nature perceptuelle, émotionnelle, motivationnelle et physiologique.
Le rêve se produit par cycles suivant la fluctuation des phases de sommeil. Il apparaît lorsque le rêveur sort du stade du sommeil profond. Dans une nuit de sommeil moyenne, une personne rêve de une à deux heures avec des rêves répartis en trois à cinq périodes, d’une durée de 20 à 30 minutes, et chaque période de sommeil dure environ 90 minutes.
Les rêves sont principalement constitués d’images visuelles. La plupart des images sont en noir et blanc. Le contenu des rêves est généralement très personnel et intime : ils concernent souvent la personne elle-même pouvant interagir avec des personnes importantes de son environnement. Les rêves reflètent les préoccupations superficielles ou profondes, inconscientes même, de l’âme. Ils sont conditionné par la culture, par l’atmosphère extérieure de la vie, par les rencontres, par les événements de la journée ou du passé même lointain ; même l’alimentation a une répercussion sur les rêves. En termes de contenu émotionnel, les rêves vont des fantasmes extatiques aux cauchemars les plus noirs. Il y a souvent une prépondérance de rêves désagréables causés par la peur, la colère ou la tristesse. Les rêves de sexe et d’agression sont assez fréquents de même que ceux qui concernent des personnes décédées.
L’interprétation des rêves chez certains auteurs
Pour les philosophes anciens
Il existe des traces d’interprétation des rêves remontant au 4e siècle avant JC. Platon, Aristote et Cicéron ont tous commenté l’interprétation des rêves.
Pour les théologiens catholiques
L’illusion spirituelle est grande à l’état de veille ; elle est plus grande dans le sommeil, quand on est sans défense.
Saint Jean Climaque
Saint Jean Climaque (+ 649) invite à se montrer très prudent à l’égard des rêves et des songes. Le danger d’illusion, d’asservissement à l’imaginaire est grand. Plus grand encore est celui d’être trompé par les puissances opposées à la volonté de Dieu, et dont le chef est le Malin, le Diable ou Diviseur. L’illusion spirituelle est grande à l’état de veille ; elle est plus grande encore dans le sommeil, quand on est sans défense.
Saint Augustin a enseigné sur les rêves dans ses lettres à Nebridius et dans De Genesi ad litteram. Il admet certes la possibilité que Dieu puisse parler à une personne à travers ses rêves mais aussi que certains rêves puissent avoir une signification psychologique dans la mesure où ils reflètent les conditions physiologiques ou mentales du rêveur. « Les hommes… rêvent ce dont ils ont besoin. » écrit-il. On ne peut donc pas vraiment discerner la signification du rêve.
Saint Thomas d’Aquin traite des rêves en relation avec son traitement de la superstition. Il identifie quatre causes de rêves : l’activité mentale, la disposition physique du corps, les conditions environnementales et, en toute fin, les causes spirituelles ؘ– Dieu, les anges et les démons.
Pour les psychologues
Freud, Jung et Adler ont tous des perspectives psychologiques sur l’interprétation des rêves. Freud a écrit une œuvre entière intitulée Interprétation des rêves (1900) ; pour la plupart, ce travail limite sévèrement l’interprétation des rêves à l’identification des désirs libidinaux non satisfaits. Il utilise également les principes de la libre association et du symbolisme typique.
Jung a été le premier à analyser les rêves d’une personne dans une série séquentielle, les traitant comme un tout significatif et les interprétant sur la base d’une cohérence interne. Jung a interprété les rêves comme la manifestation de toute la personnalité (distincte de Freud), et il a varié ses interprétations selon le type de personnalité. Jung a vu des rêves influencés non seulement par des expériences passées (comme avec Freud), mais aussi par des problèmes présents et des plans futurs.
Adler a également vu ce passé, présent, et influence future sur les rêves ; son accent principal était sur la façon dont le style de vie d’une personne se reflétait dans ses rêves. La théorie psychologique actuelle considère que l’approche freudienne de la focalisation limitée est d’une quelconque utilité.
Considérations morales concernant l’interprétation des rêves
Si on voulait se risquer à une interprétation chrétienne des rêves, il faudrait impérativement se conformer aux principes suivants :
1- Admettre, tout d’abord, que la très grande majorité des rêves sont des phénomènes naturels totalement dépourvus de toute signification religieuse particulière.
Ne jamais chercher à interpréter soi-même les messages reçus dans un rêve ou un songe mais se confier totalement au jugement de son père spirituel.
2- Très rarement, les rêves peuvent être un véhicule légitime de la révélation divine, mais, dans ce cas, d’une part Dieu lui-même fournit toujours des preuves attestant l’origine divine des rêves en question et d’autre part il fournit également les clés de l’interprétation du rêve.
3- La divination superstitieuse par les rêves est sévèrement interdite par Dieu en tant que pratique immorale.
La dimension morale vient au premier plan lorsque l’on considère la divination, la culpabilité morale et une volonté d’utiliser les rêves dans la vie spirituelle.
La divination est la prédiction de l’avenir au moyen d’un rêve, et elle n’est légitime que si l’on est sûr que le rêve vient de Dieu. Cette certitude doit être confirmée par un « ancien », un prêtre, un religieux sage et craignant Dieu, connaissant bien la personne en question. À défaut, on ne tiendra pas compte du rêve. En fait, l’attitude envers de tels rêves devrait être la même que dans le cas de visions et de révélations privées : beaucoup de prudence personnelle et une docilité au discernement de l’Église. Lorsque l’intervention divine dans un rêve est exclue, alors la divination est un acte de superstition car elle implique, explicitement ou implicitement, une tentative de prédire l’avenir au moyen de pouvoirs démoniaques. La gravité du péché dépend de la quantité de conscience, du degré de certitude sur la prédiction et de l’intention plus ou moins explicite de régler sa vie en fonction des rêves.
En ce qui concerne sa responsabilité morale, aucun mérite ni aucune punition ne peuvent être acquis par un comportement onirique. La capacité de l’homme à penser et à choisir est tellement réduite pendant le sommeil qu’il n’est pas moralement responsable de tout ce qui peut arriver. Une bonne pratique à adopter avant de s’endormir est d’asperger son lit d’eau bénite et de lire quelques lignes de l’Ecriture Sainte, demandant ainsi la protection de Dieu et se disposant à la grâce.
Ainsi, l’analyse des rêves d’aujourd’hui est assaillie par de nombreuses limites, dont l’une est un manque de connaissances sur la façon dont la vie inconsciente et consciente d’un individu est liée. Pour cette raison, une très grande prudence doit réglementer les tentatives d’utilisation des rêves comme technique d’orientation spirituelle. Il vaut mieux refuser toute tentative d’interpréter un rêve que de se tromper dans cette interprétation !
Les rêves et les songes dans la Bible
« L’interprétation des songes appartient à Dieu »
Gn 40, 8
Dans la pensée juive, les rêves étaient souvent considérés comme des événements ordinaires de la vie humaine et même comme des fantaisies insensées (cf. Is 29, 8 « Comme un affamé rêve qu’il mange et s’éveille le ventre creux, comme un assoiffé rêve qu’il boit et s’éveille épuisé, le gosier sec, ainsi en sera-t-il de la foule de toutes les nations mobilisées contre le mont Sion. » ; Si 34, 1-7 ; Ecl 5, 2)
En revanche, différents des rêves qui se produisent durant les phases de sommeil, les songes surviennent lors de phases de semi-éveil voire même sous forme de vision. Bien que certaines traductions assimilent songes et rêves, seuls les songes sont, dans l’Écriture Sainte, un des moyens de communication que Dieu utilise pour parler à un individu ; ils pouvaient être considérés comme des manifestations surnaturelles (cf. Gn 37, 5-11 ; 40, 5-19 ; 41, 1-36 ; Jg 7, 13-15 ; Est 1A-1L ; 2 Ma 15, 11-16 ; Dn 2, 1-45…)
En tant que tels, ils étaient considérés comme prédisant l’avenir, comme un moyen de révéler des vérités cachées (1 S 28, 6) et de communiquer des avertissements de Dieu (Jb 4, 12-21 ; Sg 18, 17-19). Dieu est souvent présenté comme se révélant aux Prophètes dans des songes (Nb 12, 6 ; Dn 7, 1-27 ; Jl 3, 1).
La signification des songes étant généralement obscure, seuls les sages étaient considérés comme capables d’expliquer leur signification (Gn 40, 8 ; Dn 2, 2 ; 4, 3-5 ; 5, 7-16), leur interprétation étant considérée comme une prérogative divine (Gn 40, 8 ; 41, 16, 38). Joseph et Daniel, en particulier, étaient dotés du pouvoir d’interpréter les songes et les visions (Gn 40, 8-19 ; 41, 12-36 ; Dn 1, 17 ; 2, 28 ; 5, 15-28). La peine de mort a même été décrétée (Dt 13, 2-6) pour les « prophètes et les faiseurs de songes », c’est-à-dire les faux prophètes, qui éloignaient les gens de Dieu en prétendant avoir des révélations dans les rêves (Jr 23, 16-32 ; 27, 9-29).