Une prière contradictoire pendant la messe ?

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Dans une partie de la messe, le prêtre dit : « Seigneur Jésus, toi qui as dit à tes disciples, je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ne regarde pas nos péchés, mais la foi de ton Église ». N’y a-t-il pas une contradiction lorsqu’on sait que le péché vient (déjà) d’un manque de foi ?

Mon frère Eliezer, tu poses une question profonde et je t’en remercie. À dire vrai, cette prière n’a jamais posé problème à mon niveau C’est justement à ton inquiétude que je remarque qu’une difficulté peut se dresser sur le chemin du fidèle chrétien. Tu n’as pas manqué de relever l’apparente contradiction de cette prière.

En effet, le péché comme tu le dis si bien procède d’un manque de foi, d’un défaut d’obéissance à Dieu. Comment alors demander à Dieu de fermer les yeux sur nos péchés et de ne considérer que la foi de son Église si cette église a une foi biaisée et ternie par le péché ? A contrario, s’il n’y a rien à reprocher à cette prière, alors de qui parle-t-on quand le prêtre dit « nos péchés » et « ton Église », autrement dit, y a-t-il une différence entre ceux qui s’accusent de leurs péchés et « l’Église » ? En clair, de quelle Église s’agit-il ? La réponse à ta préoccupation se trouve justement là, dans la mise en lumière du mystère de l’Église.  Je voudrais donc lever l’équivoque de cette prière pour que tu retrouves ta sérénité quand le célébrant l’adresse à Dieu au nom de tout le peuple.

Mais avant, je souscris entièrement à l’argument des frères qui ont essayé de répondre à ta question. En synthèse, ils disent ceci : nous professons la foi de l’Église exprimée dans le « Je crois en Dieu ». Mais il nous arrive de pécher. Cela ne signifie nullement que nous doutons de Dieu et de son amour ; cela ne signifie pas non plus que nous ne l’aimons pas. Comme il arrive que les enfants offensent leurs parents sans que l’amour filial pour les parents ne soit entamé. La foi à laquelle le prêtre fait référence dans sa prière est déjà celle-là. Au-delà de nos péchés, nous croyons fermement en l’amour invincible de Dieu pour nous. Nous ne le renions pas et nous voulons faire effort pour sortir de ses péchés et mieux vivre notre foi.

Après ce premier niveau, nous pouvons découvrir pour notre formation personnelle les autres paliers de la réponse à cette question. Mon argument repose principalement sur le mystère de l’Église.

Mon frère, il existe un document de l’Église, une constitution qui traite du mystère de l’Église. On l’appelle « Lumen Gentium ». Je pourrais partir de ce document référentiel pour t’expliquer ce qu’est l’Église mais je préfère puiser les ressources de la Bible pour que tous les chrétiens, catholiques ou non, comprennent ce qu’est l’Église dans sa vérité.

L’Église est une société instituée par Dieu mais composée des hommes : c’est une institution humano-divine. Elle est à la fois visible et invisible, pure sans péché et pécheresse à la foi. Elle est le peuple de Dieu, le corps du Christ et le temple de l’Esprit. Celle qui symbolise son présent et plus encore son avenir, c’est la Vierge Marie. Tout ce que je viens de dire peut te paraître inextricable. Allons pas à pas.

L’Église est une institution humano-divine. Nous retrouvons cette vérité au moment où Jésus dit à Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » (Mt 16, 18) et sur la mission que Jésus a confié à Pierre en disant « Paix mes brebis » (Jn 21, 17). C’est Jésus qui a fondé l’Église. Il est le chef, la tête, le premier responsable de l’Église. Saint Pierre et ses successeurs exercent un pouvoir réel mais délégué par le Christ. L’Église vit du Christ à travers les sacrements. Elle est son Épouse, comme saint Paul le dit dans Eph 5, 32) : « Jamais personne n’a pris sa propre chair en aversion ; au contraire, on la nourrit, on l’entoure d’attention comme le Christ pour son Église. Ne sommes-nous pas les membres de son corps ? (…) Ce mystère est grand : moi, je déclare qu’il concerne le Christ et l’Église » Eph 5, 29…32.

En ce sens, l’Épouse du Christ est sans tâche, sans défaut, sans péché, pure, belle et resplendissante (Eph 5, 27) Dans sa réalité invisible, même si l’Église est remplie de pécheurs, dans son mystère, elle est pure. On dit alors que l’Église est sainte mais remplie de pécheurs. Sur la base de la sainteté de l’Église, on peut donc s’autoriser cette prière en la comprenant ainsi :  ne regarde pas les péchés des membres de ton Église, mais regarde le don de purification que tu lui accordes, regarde sa soumission comme une bonne   épouse et son amour pour toi et donne-lui cette paix.

L’Église est un mystère à la fois visible et invisible. On oublie trop souvent que nous sommes en marche vers le Royaume de Dieu et que beaucoup de croyants, des milliers de millions nous ont précédés dans ce royaume, marqué du signe de la foi : « Après cela, je vis une foule immense que nul ne pouvait dénombrer, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue » (Apocalypse 7, 9). On peut percevoir rapidement la contradiction que tu soulignes si on s’attache à la dimension visible de l’Église. Visiblement, l’Église est composée des dirigeants et des fidèles qui se rassemblent pour prier et vivre selon la Parole du Christ et les commandements de Dieu. Sur cette base, on peut se poser moult questions sur le péché des fidèles et la foi de cette Église, encore que l’Église dans sa dimension visible ne négocie pas sa foi et ne permet pas qu’elle soit altérée. 

Mais l’Église ne se réduit pas à cette organisation visible. Il y a la grande communauté de ceux qui sont au ciel et de ceux qui sont en attente, après leur mort, d’être purifiés et d’entrer dans le paradis. Ces trois niveaux forment l’Église et sont indissociablement liés. Les séparer, c’est détruire le fondement même de l’Église. Il ne faut donc jamais, au grand jamais, si on parle de l’Église, la réduire à l’Église terrestre ; il faut toujours l’étendre à l’Église de ceux qui vivent déjà avec Dieu et ceux qui sont entente. Il faut l’étendre jusqu’à ce niveau-là et l’entendre toujours ainsi. Pris ainsi, tu comprendras aisément que c’est la limitation de l’Église à sa réalité terrestre qui te fait poser cette question. Quand tu dis, je crois en l’Église, « une », tu professes l’unité indivisible de l’Église « une sur la terre », mais aussi « une » en tant qu’elle est indéfectiblement liée à sa partie invisible : les saints et les « en-processus-de-purification ». Ce mystère de l’Église échappe trop souvent à beaucoup de personnes.

 L’Église peut être comparée à une personne humaine, composée d’une tête, d’un corps et des membres (1Co 12, 27 ; Romains 12, 2 ; Eph 1, 23 ; Colossiens 1, 24 ; etc). L’Église est un corps animé par le Saint Esprit et dont le Christ est la tête. En tant que telle, elle est sous la conduite du Christ comme son Chef. C’est la tête qui conduit le corps. Du coup, la foi de l’Église est et purifiée et vivifiée par le Christ de sorte que l’Église, dans sa dimension spirituelle et mystique, ne peut jamais se séparer du Christ.

Je peux aussi argumenter en prenant la personne de la Vierge Marie. Mais il faut un niveau donné pour cerner cela. Je t’en fais grâce.

Mon frère, la prière ne souffre pas d’insuffisance. Il suffit de bien comprendre le mystère de l’Église pour mieux comprendre cette prière. Déjà dans sa dimension terrestre et prise dans son universalité, sa foi est un total attachement à Dieu même si les chrétiens, par leur péché, font preuve de manque de Dieu. Plus encore quand nous la considérons dans tout son mystère.

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Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens