Juda a-t-il péché en livrant Jésus ?

You are currently viewing Juda a-t-il péché en livrant Jésus ?
La croix du Christ

Pendant cette semaine sainte, le rôle de Juda dans la mort de Jésus n’a pas manqué d’attirer l’attention des plusieurs chrétiens. Juda a-t-il commis un péché, d’autant que l’Écriture a, par avance, annoncé sa trahison ? Sa liberté et sa responsabilité sont-elles encore engagées dans une situation pareille ? Est-il condamnable d’avoir été l’homme par lequel l’annonce prophétique s’est accomplie ? Voilà quelques questions auxquelles nous voulons répondre dans cet article.

Où se trouve le problème ?

L’Écriture a annoncé que, pour le salut du monde, Jésus souffrirait la passion, qu’il mourrait et ressusciterait. Une précision de taille : tout ceci passera par la trahison d’un proche, d’un intime : « afin que l’Écriture s’accomplisse, celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon » (Ps 41, 10 cité en Jn 13, 18).

La question à se poser est donc celle-ci : si la trahison de Juda est prévue par Dieu, pourquoi encore jeter l’opprobre sur Juda ? N’est-il pas juste un acteur d’une « dramaturgie » dont Dieu est le seul auteur ? Si la trahison de Juda est nécessaire pour que Jésus nous sauve, Juda est-il encore fautif d’avoir trahi Jésus ? N’est-il pas à féliciter pour son courage d’avoir été un pignon central dans notre salut ? Dans une telle posture, son acte de trahison est-il volontaire ? Si non, où se trouve son péché ? Si oui, comment le démontrer ?

Toute la problématique des questions concernant Juda se trouve dans la clarification de l’acte qu’il a posé : Était-il libre d’agir autrement ? Savait-il les contours de son acte ? Toute sa volonté est-elle engagée dans sa décision et dans la mise en application de cette décision ? C’est la réponse à ces interrogations, qui nous permettra de voir clair dans la trahison et, d’une certaine manière, le suicide de Juda. Essayons donc de clarifier ce qu’on peut entendre par acte volontaire ou acte involontaire. On ne peut imputer l’entière responsabilité de la trahison de Jésus à Juda, si cette passerelle importante n’est pas libérée.

Qu’est-ce qu’un acte volontaire ?

Si nous devons définir l’acte volontaire de manière négative, nous dirons qu’est volontaire, l’acte qui se pose dans la contrainte. Dit simplement, je pose un acte involontaire quand je calomnie une personne, parce qu’on me menaçait de mort. En effet, s’il n’avait pas la contrainte de la mort, je ne porterais pas un faux témoignage. Il y a certainement beaucoup de nuances à apporter. Par exemple, lorsqu’il y a contrainte extérieure et que le pouvoir décisionnel final me revient, ma volonté dans l’acte posé est certes amoindrie, mais elle est sauvegardée tout de même. C’est tout autre chose quand par exemple, on m’injecte des drogues pour me conditionner de manière à ce que je perde toute lucidité d’action. Je suis sous la contrainte d’une drogue, j’incendie une maison : ma volonté est pratiquement nulle.

Un acte volontaire suppose donc l’absence de la contrainte totale qui ôte toute conscience. Défini de manière positive, un acte volontaire est celui que l’on accomplit en pleine conscience et librement. La pleine conscience s’oppose à l’ignorance et la liberté à la contrainte. Est conscient, l’acte posé par un homme en possession de toutes ses facultés cognitives et n’ayant aucune pression de nature à l’orienter dans une direction unique. Est volontaire l’acte posé en présence, sinon de plusieurs choix possibles, du moins en présence de deux choix irréductibles.

Où classer l’acte de Juda ?

Avant d’y parvenir, il est important de revisiter quelques textes évangéliques qui le mettent en action. Nous choisirons volontiers celui de saint Marc et de saint Jean. Le texte de Marc est le premier récit à nous montrer le rôle de Juda dans la mort de Jésus tandis que saint Jean, en dehors des synoptiques, est le dernier texte écrit sur la vie de Jésus. Les textes de Matthieu et de Luc sont plus enveloppés de traits poétiques et s’inspirent plus largement du récit de Marc. Que disent les textes ?

Évangile de Marc

Dans l’évangile de Marc, nous lisons : « Judas Iscariote, l’un des Douze, alla trouver les grands prêtres pour leur livrer Jésus. À cette nouvelle, il se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent. Et Judas cherchait comment le livrer au moment favorable » (Mc 14, 10-11).

Plus loin, dans le même chapitre, on lit :

« Jésus parlait encore quand Judas, l’un des Douze, arriva et avec lui une foule armée d’épées et de bâtons, envoyée par les grands prêtres, les scribes et les anciens. Or celui qui le livrait leur avait donné un signe convenu : « Celui que j’embrasserai, c’est lui : arrêtez-le, et emmenez-le sous bonne garde. » À peine arrivé, Judas, s’approchant de Jésus, lui dit : « Rabbi ! » Et il l’embrassa. » (Mc 14, 43-45).

Évangile de Jean

Après avoir ainsi parlé, Jésus fut bouleversé en son esprit, et il rendit ce témoignage : « Amen, amen, je vous le dis : l’un de vous me livrera. » Les disciples se regardaient les uns les autres avec embarras, ne sachant pas de qui Jésus parlait. Il y avait à table, appuyé contre Jésus, l’un de ses disciples, celui que Jésus aimait. Simon-Pierre lui fait signe de demander à Jésus de qui il veut parler.

Le disciple se penche donc sur la poitrine de Jésus et lui dit : « Seigneur, qui est-ce ? » Jésus lui répond : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. » Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote. Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. Jésus lui dit alors : « Ce que tu fais, fais-le vite. » Mais aucun des convives ne comprit pourquoi il lui avait dit cela. Comme Judas tenait la bourse commune, certains pensèrent que Jésus voulait lui dire d’acheter ce qu’il fallait pour la fête, ou de donner quelque chose aux pauvres. Judas prit donc la bouchée, et sortit aussitôt. Or il faisait nuit. (Jn 13, 21-31)

Analyse synthétique des textes

Dans le texte de Marc, nous remarquons que Juda est allé de lui-même voir les grands prêtres, pour leur proposer de livrer Jésus. Il n’y a donc la présence d’aucune pression sur lui. Ce qui montre d’ailleurs qu’il n’avait aucune contrainte, c’est que les autorités religieuses de ce temps se sont réjouis de sa proposition. Ce ne sont pas eux qui ont fait le premier pas, c’est Juda qui est l’homme du premier contact : « À cette nouvelle, ils [les grands prêtres] se réjouirent et lui promirent de lui donner de l’argent. » Les chefs des prêtres n’en sont pour rien dans l’identification de Juda. C’est ce dernier qui a voulu lui-même trahir Jésus. Il savait que ces derniers complotaient contre lui pour se saisir de lui et le tuer. Cela signifie qu’en proposant de livrer Jésus à ses bourreaux, Juda savait fort bien que Jésus allait périr entre leurs mains. Il livre intentionnellement et en pleine liberté son Maître à la mort.

Dans l’évangile de Jean, on perçoit la manière dont Jésus informe ses disciples de la trahison d’un des leurs : « L’un de vous me livrera ». Plus qu’aux onze autres disciples, Jésus s’adressait à Juda, dont il voulait malgré tout protéger la dignité humaine. Jésus ne pouvait pas lui parler plus clairement. Juda devrait comprendre, alors qu’il était attablé avec Jésus, que par cette déclaration, Jésus était au faîte de l’information le concernant et se raviser.

Comme si cela ne suffisait pas, à la question du disciple bien-aimé, qui voulait plus de précision sur l’identité du traître, Jésus dit : « C’est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper dans le plat. Il trempe la bouchée, et la donne à Judas, fils de Simon l’Iscariote. Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. ». Même à cet extrême, Juda pouvait un refus de prendre la bouchée que Jésus lui donnait.

Malheureusement, il a fait l’option volontaire de prendre la bouchée de pain des mains de Jésus. Il valide par cet acte, son choix irréversible de livrer son Maître. Plus rien ne pouvait l’en dissuader.

D’ailleurs, alors qu’en Mt 26, 21, Jésus annonçait que l’un des Douze le livrerait et que chacun passait demander à Jésus si c’était lui, Juda, qui s’est servi au plat en même temps que Jésus (Jésus avait donné comme signe que celui qui se servait au même plat et en même temps que lui était le traître), s’est lui aussi présenté devant Jésus pour lui poser la même question : « Rabbi, serait-ce moi ? ». Jésus lui fit une réponse à l’affirmative : « C’est toi-même qui l’as dit. » Mt 26, 21…25). On sait que précédemment, dans le même chapitre 26 de Mathieu, des versets 14 à 16, Juda était pleinement conscient qu’il avait signé un accord avec les grands prêtres pour livrer Jésus au moment favorable, contre l’argent préalablement négocié.

Juda a agi de plein gré

Dans tous les cas d’analyses, Juda agissait donc volontairement. Il n’est pas sous l’influence de Satan, ni du pouvoir religieux et politique de ce temps.

Au moment de se mettre en action, Juda était en pleine possession de toute ses facultés : il était libre, c’est-à-dire, aucune contrainte intérieure et extérieure ne pesait sur lui. Il avait une pleine connaissance que sa trahison conduirait Jésus à la mort ; c’est dire qu’il n’était pas ignorant du mal qu’il commettait en trahissant son maître. Volonté, liberté, conscience et intentionnalité étaient au rendez-vous au moment où Juda avait fait le choix de livrer son maître. On est donc en droit de conclure qu’il a posé un geste totalement volontaire et, de ce fait, totalement responsable. En cela, on ne peut l’innocenter dans la mort de Jésus.

Revenons à une question introductive. Juda a-t-il péché en livrant son Seigneur ? Oui. Car le péché procède du mal que l’on fait volontairement à autrui, en toute liberté. Il a fait le choix de trahir. La trahison est un péché. Mais si Juda a péché, comment comprendre l’accomplissement des Écritures, puisque son sort semblait fixé par anticipation ?

Il faut savoir que Dieu est Dieu est qu’il est omniscient. Le passé, le présent et le futur sont devant lui. Rien n’échappe à son regard. Dans ce sens, Dieu connaît, selon sa nature, ce qui arriverait à son Fils, quand il serait engagé dans l’histoire des hommes. L’annonce de la conspiration contre Jésus est un mystère divin qui ne destine pas les hommes, mais qui raconte, de manière voilée et pourtant certaine, ce que serait le sort de son Fils et la manière dont les événements se dérouleraient. Il ne s’agit donc nullement d’un scénario prévu par Dieu, d’un programme que le plan divin aura préétabli. Il s’agit plus d’un compte-rendu prophétique d’une tragédie connue par avance de Dieu et communiquée à ses prophètes et non d’une prédétermination ou prédestination.

La logique des Écritures est de ne jamais enfermer l’homme dans une direction unique. Dieu propose à l’homme des choix à faire et il met chacun devant ses responsabilités. En ce sens, l’annonce de la trahison d’un intime ne signifie pas que le sort de Juda est fixé depuis la nuit des temps. Il ne faut pas penser que Jésus a choisi Juda pour jouer le mauvais rôle dans le groupe rapproché des disciples, les Douze. Jésus l’aimait d’un amour profond et n’a jamais pensé, au moment de choisir Juda comme « apôtres », qu’il serait un traître. Dans ce sens, la trahison de Juda est une souffrance déjà pour Jésus, même si, par la force des choses, les prédictions dans l’Écriture s’accomplissaient. Mystère divin.

Vous aimez cet article ? Donnez lui 5 étoiles
  [Moyenne : 4]
Print Friendly, PDF & Email

Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens

Cet article a 6 commentaires

  1. Mariano Sokenou

    Merci pour cette clarification

  2. KPADONOU Aimé

    Merci père
    Mais c’est compliqué

  3. TOÏ Judith

    Merci père pour cet enseignement. Mais comme vous l’avez dit: l’accomplissement de l’écriture est un mystère divin. Nous ne pouvons comprendre correctement les choses divines qu’après notre mort..

  4. ALIKPON Julius

    Merci beaucoup pour cet article . J’ai appris tellement de choses en le lisant.

    1. Carine Feudjio

      Merci mon Père

  5. DJIGUEMDE KOUDBI LUC

    J’aimerais ajouter que l’acte de Juda est même un acte inutile sans lequel la suite des événements pouvait se passer sans trop de difficultés (je veux parler de l’arrestation et le reste).
    Jésus, selon Jean 18, 3-8, s’est présenté lui-même aux grands prêtres et aux pharisiens venus à sa recherche.
    ”Qui cherchez-vous?”
    “C’est moi”
    ”C’est moi”
    PUISSE L’ESPRIT CONTINUER A NOUS ECLAIRER ET NOUS CONDUIRE VERS LA VERITE TOUTE ENTIÈRE…. Amen
    Le

Les commentaires sont fermés.