Toute la catéchèse du pape François sur le discernement

Pape François
Pape François

Nous faisons ici la compilation de la catéchèse du pape François sur le discernement. Bien souvent les fidèles ne savent pas comment s’y prendre. Cette catéchèse suivie permettra à beaucoup de personnes désireuses d’emprunter ce chemin nécessaire avec sérénité.

Que signifie discerner ?

Discerner est un acte important qui concerne tout le monde, car les choix sont une partie essentielle de la vie. Discerner les choix. On choisit une nourriture, un vêtement, un parcours d’études, un travail, une relation. Dans tout cela, se concrétise un projet de vie et également notre relation avec Dieu.

Dans l’Évangile, Jésus parle de discernement avec des images tirées de la vie ordinaire ; par exemple, il décrit les pêcheurs qui sélectionnent de bons poissons et rejettent les mauvais ; ou le marchand qui sait identifier, parmi de nombreuses perles, celle qui a le plus de valeur. Ou celui qui, en labourant un champ, tombe sur quelque chose qui se révèle être un trésor (cf. Mt 13, 44-48).

À la lumière de ces exemples, le discernement se présente comme un exercice d’intelligence, mais aussi de capacité et aussi de volonté, pour saisir le bon moment : ce sont les conditions pour faire un bon choix. Il faut de l’intelligence, de l’expertise et aussi la volonté pour faire un bon choix. Et il y a aussi un coût pour que le discernement devienne opérationnel. Pour exercer au mieux son métier, le pêcheur tient compte de l’effort, des longues nuits passées en mer, puis du fait de rejeter une partie de la pêche, en acceptant une perte de profit pour le bien de ceux auquel il est destiné. Le marchand de perles n’hésite pas à tout dépenser pour acheter cette perle ; et il en va de même pour l’homme qui a découvert un trésor. Des situations inattendues, non programmées, où il est essentiel de reconnaître l’importance et l’urgence d’une décision à prendre. Les décisions doivent être prises par chacun de nous ; personne ne les prend pour nous. A un certain moment, les adultes, libres, peuvent demander conseil, réfléchir, mais la décision leur appartient ; on ne peut pas dire : « J’ai perdu cela, parce que mon mari a décidé, ma femme a décidé, mon frère a décidé » : non ! Tu dois décider, chacun de nous doit décider, et pour cela il est important de savoir discerner : pour bien décider, il faut savoir discerner.

L’Évangile suggère un autre aspect important du discernement : il touche les liens d’affection. Celui qui a trouvé le trésor n’éprouve pas la difficulté de tout vendre, tant sa joie est grande (cf. Mt 13, 44). Le terme utilisé par l’évangéliste Matthieu indique une joie très spéciale, qu’aucune réalité humaine ne peut donner ; et en effet, elle revient dans très peu d’autres passages de l’Évangile, qui renvoient tous à la rencontre avec Dieu. C’est la joie des Mages quand, après un -voyage long et fatigant, ils revoient l’étoile (cf. Mt 2, 10) ; la joie, c’est la joie des femmes qui reviennent du tombeau vide après avoir entendu l’annonce de la résurrection de la part de l’ange (cf. Mt 28, 8 ). C’est la joie de qui a trouvé le Seigneur. Prendre une belle décision, une décision juste, te conduit toujours à cette joie finale ; peut-être que sur le chemin, il faut subir un peu d’incertitude, réfléchir, chercher, mais à la fin, la bonne décision te procure de la joie.

Lors du jugement dernier, Dieu opérera un discernement — le grand discernement — envers nous. Les images du paysan, du pêcheur et du marchand sont des exemples de ce qui se passe dans le Royaume des cieux, un Royaume qui se manifeste dans les actions ordinaires de la vie, qui exigent de prendre position. C’est pourquoi il est si important de savoir discerner : les grands choix peuvent naître de circonstances a priori secondaires, mais qui s’avèrent décisives. Pensons par exemple à la première rencontre d’André et de Jean avec Jésus, une rencontre qui naît d’une simple question : « Rabbi, où demeures-tu ? » — « Venez et voyez » (cf. Jn 1, 38-39), dit Jésus. Un échange très bref, mais c’est le début d’un changement qui, peu à peu, marquera toute la vie. Des années plus tard, l’évangéliste continuera à se souvenir de cette rencontre qui l’a changé pour toujours, il se souviendra aussi de l’heure : « C’était environ la dixième heure » (v. 39). C’est le moment où le temps et l’éternel se sont rencontrés dans sa vie. Et dans une décision bonne et juste, la volonté de Dieu rencontre notre volonté ; le chemin actuel rencontre l’éternel. Prendre une bonne décision, après un chemin de discernement, c’est faire cette rencontre : le temps avec l’éternel.

Donc : connaissance, expérience, liens d’affection, volonté : voilà quelques éléments indispensables du discernement. Au cours de ces catéchèses, nous en verrons d’autres, tout aussi importantes.

Le discernement — comme je l’ai dit — implique un effort. Selon la Bible, nous ne sommes pas face à la vie que nous devons vivre, déjà prête à l’emploi : non ! Nous devons la décider en permanence, en fonction des réalités qui se présentent. Dieu nous invite à évaluer et à choisir : il nous a créés libres et veut que nous exercions notre liberté. Pour cette raison, le discernement est exigeant.

Nous avons souvent fait cette expérience : choisir quelque chose qui nous paraissait bien mais qui ne l’était pas. Ou bien savoir quel était notre vrai bien et ne pas le choisir. L’homme, contrairement aux animaux, peut se tromper, il peut ne pas vouloir choisir correctement et la Bible le montre dès ses premières pages. Dieu donne à l’homme une consigne précise : si tu veux vivre, si tu veux goûter à la vie, souviens-toi que tu es une créature, que tu n’es pas le critère du bien et du mal et que les choix que tu feras auront une conséquence, pour toi, pour les autres et pour le monde (cf. Gn 2, 16-17) ; tu peux faire de la terre un jardin magnifique ou tu peux en faire un désert de mort. Un enseignement fondamental : ce n’est pas un hasard si c’est le premier dialogue entre Dieu et l’homme. Le dialogue est : le Seigneur donne la mission, tu dois faire ceci et cela ; et chaque pas que fait l’homme doit discerner quelle décision prendre. Le discernement est cette réflexion de l’esprit, du cœur que nous devons faire avant de prendre une décision.

Le discernement est difficile, mais indispensable pour vivre. Cela exige que je me connaisse, que je sache ce qui est bon pour moi ici et maintenant. Il exige avant tout une relation filiale avec Dieu. Dieu est Père et ne nous laisse pas seuls, il est toujours prêt à nous conseiller, à nous encourager, à nous accueillir. Mais il n’impose jamais sa volonté. Pourquoi ? Parce qu’il veut être aimé et non craint. Et Dieu veut aussi que nous soyons des enfants, et pas des esclaves : des enfants libres. Et l’amour ne peut être vécu que dans la liberté. Pour apprendre à vivre, il faut apprendre à aimer, et pour cela il faut discerner : que puis-je faire maintenant, face à cette alternative ? Que ce soit un signe de plus d’amour, de plus de maturité en amour. Demandons que le Saint-Esprit nous guide ! Invoquons-le chaque jour, surtout quand nous devons faire des choix.

Un exemple : Ignace de Loyola

Dans la poursuite de notre réflexion sur le discernement, – en ce moment nous parlerons chaque mercredi du discernement spirituel -, et pour cela la référence à un témoignage concret peut nous être utile.

L’un des exemples les plus instructifs nous est offert par saint Ignace de Loyola, avec un épisode décisif de sa vie. Ignace se trouve en convalescence chez lui après avoir été blessé au combat à une jambe. Pour chasser l’ennui, il demande quelque chose à lire. Il aimait les récits de chevalerie, mais malheureusement, on ne trouve que des vies de saints à la maison. Il s’adapte un peu à contrecœur, mais au fil des lectures, il commence à découvrir un autre monde, un monde qui le conquiert et qui semble rivaliser avec celui des chevaliers. Il est fasciné par les figures de saint François et de saint Dominique et ressent le désir de les imiter. Mais le monde chevaleresque continue également d’exercer sa fascination sur lui. Et ainsi il ressent en lui cette alternance de pensées, celles de la chevalerie et celles des saints, qui semblent équivalentes.

Ignace, cependant, commence aussi à apercevoir des différences. Dans son Autobiographie – à la troisième personne – il écrit : « Penser aux choses du monde – et aux choses chevaleresques, cela se comprend – lui procurait beaucoup de plaisir, mais lorsque, par lassitude, il les abandonnait, il se sentait vide et déçu. En revanche, aller à Jérusalem pieds nus, ne se nourrir que des herbes, pratiquer toutes les austérités reconnues comme habituelles aux saints, étaient des pensées qui non seulement le consolaient pendant qu’il s’y arrêtait, mais même après qu’il les avait abandonnées le laissaient satisfait et plein de joie » (n. 8) ; lui laissaient une trace de joie.

Dans cette expérience, nous pouvons noter deux aspects en particulier. Le premier est le temps : c’est-à-dire les pensées du monde sont attrayantes au début, mais elles perdent ensuite leur éclat et laissent vides, mécontents, ils te laissent comme ça, une chose vide. Les pensées de Dieu, par contre, suscitent des résistances au début, – « Mais cette histoire ennuyeuse de saints, je ne vais pas la lire », mais lorsqu’elles sont acceptées, elles apportent une paix inconnue, qui dure aussi longtemps.

Voici donc l’autre aspect : le point d’arrivée des pensées. Au début, la situation ne semble pas si claire. Il y a un développement du discernement : par exemple nous comprenons ce qui est bon pour nous non pas de manière abstraite, générale, mais dans le parcours de notre vie. Dans les règles de discernement, fruit de cette expérience fondamentale, Ignace pose une prémisse importante, qui aide à comprendre un tel processus : « À l’égard des personnes qui vont de péché mortel en péché mortel, la conduite ordinaire du démon est de leur proposer des plaisirs apparents, les tranquilliser en leur assurant que tout va bien, occupant leur imagination de jouissances et de voluptés sensuelles, afin de les retenir et de les plonger davantage dans leurs vices et dans leurs péchés. Le bon esprit, au contraire, agit en elles d’une manière opposée : il aiguillonne et mord leur conscience, en leur faisant sentir les reproches de la raison. » (Exercices spirituels, 314) ; Mais ce n’est pas bien.

L’histoire qui précède celui qui discerne est indispensable car le discernement n’est pas une sorte d’oracle ou de fatalisme ou un objet de laboratoire, comme tirer au sort entre deux possibilités. Les grandes questions naissent lorsque nous avons déjà fait un bout de chemin dans la vie, et il faut revenir sur ce parcours pour comprendre ce que nous cherchons. Si l’on fait un bout de chemin dans la vie, là : « Mais pourquoi je marche dans cette direction, qu’est-ce que je cherche ? », et là on effectue le discernement. Ignace, lorsqu’il s’est retrouvé blessé dans la maison de son père, ne pensait pas du tout à Dieu ou à la manière de réformer sa propre vie, non. Il fait sa première expérience de Dieu en écoutant son propre cœur, qui lui montre un curieux renversement : des choses séduisantes à première vue le laissent déçu, et dans d’autres, moins brillantes, il ressent une paix qui dure dans le temps.

Même nous vivons cette expérience, tant de fois nous commençons à penser une chose et nous restons là et puis nous sommes déçus. Au lieu de cela, nous faisons une œuvre de charité, nous faisons une bonne chose et nous ressentons quelque chose du bonheur, une bonne pensée te parvient, de la joie, c’est notre propre expérience. Lui, Ignace, fait sa première expérience de Dieu, en écoutant son propre cœur, qui lui montre un curieux renversement. C’est ce que nous devons apprendre : écouter son propre cœur : pour savoir ce qui se passe, quelle décision prendre, pour porter un jugement sur une situation, il faut écouter son propre cœur. Nous écoutons la télévision, la radio, le téléphone portable, nous sommes des maîtres de l’écoute, mais je te demande : sais-tu écouter ton cœur ? T’arrêtes-tu pour dire : « Mais comment va mon cœur ? Est-il satisfait, est-il triste, cherche-t-il quelque chose ? ». Pour prendre de bonnes décisions, il faut écouter son propre cœur.

C’est pourquoi Ignace suggère de lire les vies des saints, car elles montrent de manière narrative et compréhensible le style de Dieu dans la vie de personnes pas si différentes de nous parce que les saints étaient de chair et de sang comme nous. Leurs actions parlent aux nôtres et nous aident à en comprendre le sens.
Dans ce célèbre épisode des deux sentiments qu’éprouvait Ignace, l’un quand il lisait les choses des chevaliers et l’autre quand il lisait les vies des saints, nous pouvons reconnaître un autre aspect important du discernement, que nous avons déjà mentionné la dernière fois. Il y a un hasard apparent dans les événements de la vie : tout semble naître d’une banale mésaventure : il n’y avait pas de livres de chevaliers, seulement des vies de saints. Une mésaventure qui constitue néanmoins un possible tournant.

Ce n’est qu’après un certain temps qu’Ignace s’en rend compte et à ce point y consacrera toute son attention. Écoutez bien : Dieu agit à travers des événements non programmés comme par hasard, mais par hasard cela m’est arrivé, par hasard j’ai rencontré cette personne, par hasard j’ai vu ce film, ce n’était pas prévu mais Dieu agit à travers des événements imprévisibles, et même dans les mésaventures : « Mais je devais me promener et j’ai eu un problème aux pieds, je ne peux pas… ». Un contretemps : que te dit Dieu ? Qu’est-ce que la vie te dit là ? Nous l’avons vu aussi dans un passage de l’Évangile de Matthieu : un homme labourant un champ tombe accidentellement sur un trésor enfoui. Une situation totalement inattendue.

Mais ce qui est important, c’est qu’il le reconnaît comme l’aubaine de sa vie et qu’il décide en conséquence : il vend tout et achète ce champ (cf. 13, 44). Un conseil que je vous donne, soyez attentifs à l’inattendu. Celui qui dit : « mais ce hasard, je ne m’y attendais pas ». Là, c’est la vie qui vous parle, c’est le Seigneur qui vous parle, ou c’est le diable qui vous parle ? Quelqu’un. Mais il y a une chose à discerner, la façon dont je réagis aux choses inattendues. Mais j’étais si calme à la maison et « poum, poum », la belle-mère arrive et comment réagis-tu avec la belle-mère ? Est-ce l’amour ou quelque chose d’autre à l’intérieur ? Et fais le discernement. Je travaillais bien dans le bureau et un camarade vient me dire qu’il a besoin d’argent et comment as-tu réagi ? Voir ce qui se passe lorsque nous vivons des choses auxquelles nous ne nous attendons pas et là, nous apprenons à connaître notre cœur comme il se meut.

Le discernement aide à reconnaître les signes par lesquels le Seigneur se fait rencontrer dans les situations imprévues, voire désagréables, comme cela fut pour Ignace la blessure à la jambe. De celles-ci peut naître une rencontre qui change la vie pour toujours comme le cas d’Ignace. Quelque chose peut surgir qui t’amène à être meilleur sur le chemin ou pire je ne sais pas, mais rester attentif et le plus beau fil conducteur est donné par les imprévus : « comment est-ce que je me comporte face à cela ? ». Que le Seigneur nous aide à écouter notre cœur et à voir quand c’est Lui qui agit et quand ce n’est pas Lui et que c’est autre chose.

Les éléments du discernement

La familiarité avec le Seigneur

Nous reprenons les catéchèses sur le thème du discernement, – parce que le sujet du discernement est très important pour savoir ce qui se passe en nous ; des sentiments et des idées, nous devons discerner d’où ils viennent, où ils me mènent, à quelle décision – et aujourd’hui nous nous focalisons sur le premier de ses éléments constitutifs, qui est la prière. Pour discerner, nous devons être dans un environnement, dans un état de prière.

La prière est une aide indispensable au discernement spirituel, surtout lorsqu’elle implique les affects, permettant de s’adresser à Dieu avec simplicité et familiarité, comme on parle à un ami. C’est savoir aller au-delà des pensées, entrer dans l’intimité avec le Seigneur, avec une spontanéité affectueuse. Le secret de la vie des saints est la familiarité et la confiance en Dieu, qui grandit en eux et leur permet toujours plus facilement de reconnaître ce qui Lui est agréable. La prière véritable est la familiarité et la confiance avec Dieu. Ce n’est pas réciter des prières comme un perroquet, bla bla bla, non. La vraie prière est cette spontanéité et cette affection avec le Seigneur. Cette familiarité vainc la crainte ou le doute que Sa volonté ne soit pas pour notre bien, une tentation qui traverse parfois nos pensées et rend le cœur agité et incertain ou amer, également.

Le discernement ne prétend pas à une certitude absolue – n’est pas chimiquement une méthode pure, non, elle ne prétend pas à une certitude absolue, car il s’agit de la vie, et la vie n’est pas toujours logique, elle comporte de nombreux aspects qui ne peuvent être enfermés dans une seule catégorie de pensée. Nous aimerions savoir avec précision ce qu’il faut faire, et pourtant, même lorsque cela se produit, nous n’agissons pas toujours en conséquence. Combien de fois avons-nous fait, nous aussi, l’expérience décrite par l’apôtre Paul qui dit ceci : « Je ne fais pas le bien que je voudrais, mais je commets le mal que je ne voudrais pas. » (Rm 7,19). Nous ne sommes pas seulement faits de raison, nous ne sommes pas des machines, il ne suffit pas de recevoir des instructions pour les exécuter : les obstacles, comme les aides, pour se décider pour le Seigneur sont avant tout affectifs, du cœur.

Il est significatif que le premier miracle accompli par Jésus dans l’Évangile de Marc soit un exorcisme (cf. 1, 21-28). Dans la synagogue de Capharnaüm, il délivre un homme du diable, le libérant de la fausse image de Dieu que Satan suggère depuis les origines : celle d’un Dieu qui ne veut pas notre bonheur. L’homme possédé, de ce passage de l’Évangile, sait que Jésus est Dieu, mais cela ne l’amène pas à croire en Lui. En fait, il dit : « Es-tu venu pour nous perdre ? » (v. 24).

Beaucoup de gens, même des chrétiens, pensent la même chose : Jésus est peut-être le Fils de Dieu, mais ils doutent qu’il veuille notre bonheur ; certains craignent même que prendre au sérieux sa proposition, ce que Jésus nous propose, signifie ruiner la vie, mortifier nos désirs, nos aspirations les plus fortes. Ces pensées nous traversent parfois l’esprit : que Dieu nous en demande trop, nous avons peur que Dieu nous demande trop, ou veuille nous enlever ce qui nous est le plus cher. Que, en somme, il ne nous aime pas vraiment. Au contraire, lors de notre première rencontre, nous avons vu que le signe de la rencontre avec le Seigneur est la joie. Quand je rencontre le Seigneur dans la prière, je deviens joyeux. Chacun de nous devient joyeux, une chose belle.

La tristesse, ou la peur, en revanche, sont des signes d’éloignement de Lui Dieu : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements », dit Jésus au jeune homme riche (Mt 19,17). Malheureusement pour ce jeune homme, certains obstacles ne lui ont pas permis de réaliser le désir qu’il avait dans son cœur, de suivre de plus près le « bon maître ». C’était un jeune homme intéressé, entreprenant, il avait pris l’initiative de rencontrer Jésus, mais il était aussi très partagé dans ses affections, pour lui la richesse était trop importante. Jésus ne le force pas à se décider, mais le texte note que le jeune homme se détourne de Jésus « triste » (v. 22). Qui s’éloigne du Seigneur n’est jamais satisfait, même en ayant à leur disposition une abondance de biens et de possibilités.

Jésus ne vous oblige jamais à le suivre, jamais. Jésus te fait connaître sa volonté, de tout son cœur il te fait connaître les choses, mais il te laisse libre. Et c’est ce qu’il y a de plus beau dans la prière avec Jésus : la liberté que Lui il nous laisse. Au contraire, quand nous nous éloignons du Seigneur, nous restons avec quelque chose de triste, quelque chose de mauvais dans le cœur.

Discerner ce qui se passe en nous n’est pas facile, car les apparences sont trompeuses, mais la familiarité avec Dieu peut doucement dissiper les doutes et les craintes, rendant notre vie toujours plus réceptive à sa « douce lumière », selon la belle expression de saint John Henry Newman. Les saints brillent de lumière réfléchie et montrent dans les gestes simples de leur journée la présence aimante de Dieu, qui rend possible l’impossible. On dit que deux conjoints qui ont vécu ensemble longtemps en s’aimant finissent par se ressembler.

On peut dire quelque chose de semblable de la prière affective : de manière graduelle mais efficace, elle nous rend toujours plus capables de reconnaître ce qui compte par connaturalité, comme quelque chose qui jaillit du fond de notre être. Être en prière ne signifie pas dire des paroles, des paroles, non ; être en prière signifie ouvrir le cœur à Jésus, s’approcher de Jésus, laisser Jésus entrer dans mon cœur et nous faire sentir sa présence. Et là, nous pouvons discerner quand c’est Jésus et quand c’est nous avec nos pensées, très souvent loin de ce que Jésus veut.

Demandons cette grâce : vivre une relation d’amitié avec le Seigneur, comme un ami parle à un ami (cf. St Ignace de L., Exercices spirituels, 53). Je me souviens d’un vieux frère religieux qui était le portier d’un collège et qui, chaque fois qu’il le pouvait, s’approchait de la chapelle, regardait l’autel et disait : « Bonjour », parce qu’il était proche de Jésus. Il n’avait pas besoin de dire bla bla bla, non : « bonjour, je suis proche de toi et tu es proche de moi ». C’est la relation que nous devons avoir dans la prière : la proximité, la proximité affective, comme des frères, la proximité avec Jésus. Un sourire, un simple geste et ne pas réciter des paroles qui ne touchent pas le cœur. Comme je le disais, parlez à Jésus comme un ami parle à son ami. C’est une grâce que nous devons demander les uns pour les autres : voir Jésus comme notre ami, notre ami le plus grand et notre ami fidèle, qui ne fait pas de chantage, et surtout qui ne nous abandonne jamais, même lorsque nous nous éloignons de Lui.

Lui, il reste à la porte du cœur. « Non, je ne veux rien savoir avec toi », disons-nous. Et Lui, il reste silencieux, il reste là, à portée de main, à portée de cœur, car Lui, il est toujours fidèle. Allons de l’avant avec cette prière, disons la prière du « bonjour », la prière de saluer le Seigneur avec le cœur, la prière de l’affection, la prière de la proximité, avec peu de paroles mais avec des gestes et avec des œuvres bonnes.

Se connaitre soi-même

 Nous poursuivons notre réflexion sur le thème du discernement. La dernière fois nous avons considéré la prière comme son élément indispensable, considérée comme familiarité et confiance en Dieu. La prière, non comme les perroquets. Non : la prière comme familiarité et confiance en Dieu ; la prière des enfants à leur Père ; la prière avec le cœur ouvert. Nous l’avons vu dans la dernière catéchèse.

Aujourd’hui, je voudrais, de manière presque complémentaire, souligner qu’un bon discernement demande aussi la connaissance de soi-même. Se connaître soi-même. Et ce n’est pas facile, hein ! En effet, cela implique nos facultés humaines : la mémoire, l’intellect, la volonté, l’affectivité. Souvent, nous ne savons pas discerner parce que nous ne nous connaissons pas suffisamment et ne savons pas non plus ce que nous voulons vraiment. Vous avez souvent entendu : « Mais cette personne, pourquoi n’arrange-t-elle pas sa vie ? Jamais elle n’a su ce qu’elle voulait… » . Il y a des gens qui… Et puis oui, sa vie va comme ça, parce qu’elle ne sait pas non plus ce qu’elle veut. Sans aller à cet extrême, il nous arrive également de ne pas bien savoir ce que nous voulons, nous ne nous connaissons pas bien.

Les doutes spirituels et les crises de vocation sont souvent sous-tendus par un dialogue insuffisant entre la vie religieuse et notre dimension humaine, cognitive et affective. Un auteur de spiritualité notait combien beaucoup de difficultés sur le sujet du discernement renvoient à des problèmes d’une autre nature, qui doivent être reconnus et explorés. Cet auteur écrit : « J’en suis venu à la conviction que le plus grand obstacle au véritable discernement (et à une réelle croissance dans la prière) n’est pas la nature intangible de Dieu, mais le fait que nous ne nous connaissons pas suffisamment, et que nous ne voulons même pas nous connaître tels que nous sommes vraiment. Nous nous cachons presque tous derrière un masque, non seulement devant les autres, mais aussi lorsque nous nous regardons dans le miroir » (TH. GREEN, Il grano e la zizzania, Rome, 1992, 25). Nous avons tous la tentation d’être masqués, même face à nous-mêmes.
L’oubli de la présence de Dieu dans notre vie va de pair avec l’ignorance sur nous-mêmes – ignorer Dieu et nous ignorer -, l’ignorance sur les caractéristiques de notre personnalité et sur nos désirs les plus profonds.

Se connaître soi-même n’est pas difficile, mais c’est fatigant : cela implique un patient travail d’introspection. Cela requiert la capacité de s’arrêter, de « désactiver le pilote automatique » , pour prendre conscience de notre façon de faire, des sentiments qui nous habitent, des pensées récurrentes qui nous conditionnent, souvent à notre insu. Cela exige également que nous fassions la distinction entre les émotions et les facultés spirituelles. « Je sens » n’est pas la même chose que « Je suis convaincu » ; « Je me sens de » n’est pas la même chose que « Je veux ».   C’est ainsi seulement qu’il est possible de se rendre compte à quel point la vision que nous avons de nous-mêmes et de la réalité est parfois erronée. S’en rendre compte est une grâce ! En effet, il arrive souvent que des croyances erronées sur la réalité, basées sur les expériences du passé, nous influencent fortement, limitant notre liberté de jouer pour ce qui compte vraiment dans notre vie.

À l’ère des technologies de l’information, nous savons combien il est important de connaître le mot de passe pour accéder aux programmes où se trouvent les informations les plus personnelles et les plus précieuses. Mais la vie spirituelle a aussi ses « mots de passe » : il y a des mots qui touchent le cœur parce qu’ils font référence à ce à quoi nous sommes le plus sensibles. Le tentateur, c’est-à-dire le diable, connaît bien ces mots-clés, et il est important que nous les connaissions aussi, pour ne pas nous retrouver là où nous ne voulons pas être. La tentation ne suggère pas nécessairement de mauvaises choses, mais souvent des choses désordonnées, présentées avec une importance excessive. Il nous hypnotise ainsi par l’appétit que ces choses suscitent en nous, des choses belles mais illusoires, qui ne peuvent pas tenir leurs promesses, et ainsi nous laissent à la fin avec un sentiment de vide et de tristesse.

Ce sentiment de vide et de tristesse est le signe que nous avons [il dit : en allant] « pris » une voie qui n’était pas la bonne, qui nous a désorientés. Il peut s’agir par exemple de diplômes, la carrière, les relations, toutes choses en soi louables, mais envers lesquelles, si nous ne sommes pas libres, nous risquons de nourrir des attentes irréelles, comme par exemple la confirmation de notre valeur. Toi, par exemple, quand tu penses à des études que tu entreprends, y penses-tu seulement pour te promouvoir toi-même, pour ton propre intérêt, ou aussi pour servir la communauté ? Là, on peut voir quelle est l’intentionnalité de chacun d’entre nous. Les plus grandes souffrances proviennent souvent de ce malentendu, car aucune de ces choses ne peut être la garantie de notre dignité.

Pour cela, chers frères et sœurs, c’est important de nous connaitre, de se connaître, de connaître les mots de passe de notre cœur, ce à quoi nous sommes le plus sensibles, de se protéger de qui se présente avec des mots persuasifs pour nous manipuler, mais aussi de reconnaître ce qui est vraiment important pour nous, en le distinguant des modes du moment ou des slogans tape-à-l’œil et superficiels. Souvent, ce qui est dit dans un programme à la télévision, dans certaines publicités, nous touche le cœur et nous fait emprunter cette direction sans liberté. Faites attention à cela : suis-je libre ou est-ce que je me laisse aller aux sentiments du moment, ou aux provocations du moment ?

Une aide à cet égard est l’examen de conscience, mais je ne parle pas de l’examen de conscience que nous faisons tous lorsque nous allons nous confesser, non. C’est-à-dire : « Mais j’ai péché en ceci, cela… » . Non. Examen de conscience général de la journée : que s’est-il passé dans mon cœur aujourd’hui ? « Tant de choses sont passées [se sont passées] … ». Lesquelles ? Pourquoi ? Quelles traces ont-elles laissées dans le cœur ? Faire l’examen de conscience, c’est-à-dire la bonne habitude de relire dans le calme ce qui se passe dans notre journée, en apprenant à noter dans nos évaluations et nos choix ce à quoi nous accordons le plus d’importance, ce que nous cherchons et pourquoi, et ce que finalement nous avons trouvé. Et surtout, en apprenant à reconnaître ce qui rassasie mon cœur. Qu’est-ce qui rassasie mon cœur ? Car seul le Seigneur peut nous donner la confirmation de ce que nous valons. Il nous le dit chaque jour de la croix : il est mort pour nous, pour nous montrer combien nous sommes précieux à ses yeux.

Aucun obstacle ou échec ne peut empêcher [il dit : ta] sa tendre étreinte. L’examen de conscience aide beaucoup, parce que nous voyons alors que notre cœur n’est pas une route [où] tout passe à notre insu. Non. Voir : Que s’est-il passé aujourd’hui ? Qu’est-ce qui est advenu ? Qu’est-ce qui m’a fait réagir ? Qu’est-ce qui m’a rendu triste ? Qu’est-ce qui m’a rendu joyeux ? Qu’est-ce qui était mauvais et ai-je fait du mal aux autres ? Mais voir le parcours des sentiments, des attractions dans mon cœur durant la journée. N’oubliez pas hein ! L’autre jour, nous avons parlé de la prière ; aujourd’hui, nous parlons de la connaissance de soi-même.

La prière et la connaissance de soi-même nous permettent de grandir dans la liberté. Il s’agit de grandir dans la liberté ! Ce sont des éléments fondamentaux de l’existence chrétienne, des éléments précieux pour trouver sa place dans la vie.

Le désir

Dans ces catéchèses sur le discernement, nous sommes en train de passer en revue les éléments du discernement. Après la prière, un élément et la connaissance de soi, un autre élément, c’est-à-dire prier et se connaître soi-même, je voudrais aujourd’hui parler d’un autre « ingrédient » pour ainsi dire indispensable : je voudrais aujourd’hui parler du désir. En effet, le discernement est une forme de recherche, et la recherche naît toujours de quelque chose qui nous manque mais que nous connaissons d’une manière ou l’autre, nous avons le flair.

De quelle nature est cette connaissance ? Les maîtres spirituels la désignent par le terme de « désir » qui, à la base, est une nostalgie de plénitude qui ne trouve jamais son plein accomplissement, et est le signe de la présence de Dieu en nous. Le désir n’est pas l’envie du moment, non. Le mot italien vient d’un très beau terme latin, C’est curieux : de-sidus, littéralement « l’absence de l’étoile », le désir est une absence de l’étoile, l’absence du point de référence qui oriente le chemin de la vie ; il évoque une souffrance, un manque, et en même temps une tension pour atteindre le bien qui nous manque. Le désir est alors la boussole qui permet de comprendre où j’en suis et où je vais, ou plutôt c’est la boussole qui me permet de savoir si je suis arrêté ou si je suis en train de marcher, une personne qui ne désire jamais est une personne immobile, peut-être malade, presque morte. C’est la boussole qui me permet de savoir si je suis en train d’avancer ou si je suis immobile. Et comment est-ce possible de le reconnaître ?

Pensons. Un désir authentique sait toucher en profondeur les cordes de notre être, c’est pourquoi il ne s’éteint pas face aux difficultés ou aux revers. C’est comme lorsque nous avons soif : si nous ne trouvons rien à boire, nous ne renonçons pas, au contraire, la quête occupe de plus en plus nos pensées et nos actions, jusqu’à ce que nous soyons prêts à faire n’importe quel sacrifice pour l’étancher, presque obsédés. Les obstacles et les échecs n’étouffent pas le désir, non, au contraire, ils le rendent encore plus vif en nous.

A la différence de l’envie ou de l’émotion du moment, le désir dure dans le temps, même longtemps, et tend à se réaliser. Si, par exemple, un jeune homme souhaite devenir médecin, il devra s’engager dans un cursus d’études et de travail qui occupera quelques années de sa vie et, par conséquent, il devra fixer des limites, dire « non », dire des « non », tout d’abord à d’autres cursus d’études, mais aussi à d’éventuelles diversions et distractions, surtout pendant les moments d’étude les plus intenses. Cependant, le désir de donner une orientation à sa vie et d’atteindre cet objectif- devenir médecin était l’exemple- lui permet de surmonter ces difficultés. Le désir te rend fort, il te rend courageux, il te fait avancer toujours parce que tu veux y arriver : « Je désire cela ».

En effet, une valeur devient belle et plus facilement réalisable lorsqu’elle est attrayante. Comme l’a dit quelqu’un, « plus important que d’être bon, il faut avoir le désir de devenir bon » . Etre bon est une chose attrayante, nous voulons tous être bons, mais avons-nous la volonté de devenir bons ?

C’est frappant de constater que Jésus, avant d’accomplir un miracle, interroge souvent la personne sur son désir : « Veux-tu être guéri ? »  Et parfois cette question semble déplacée, mais ça se voit qu’elle est malade ! Non… Par exemple, lorsqu’il rencontre le paralytique à la piscine de Bethzatha, qui était là depuis de nombreuses années et qui n’a jamais pu saisir le bon moment pour entrer dans l’eau. Jésus lui demande : « Veux-tu être guéri ? » (Jn 5, 6). Mais Comment ? En fait, la réponse du paralytique révèle une série d’étranges résistances à la guérison, qui ne concernent pas que lui. La question de Jésus était une invitation à faire la clarté dans son cœur, pour accueillir un possible saut qualitatif : ne plus penser à lui-même et à sa vie « comme un paralytique », porté par d’autres. Mais l’homme sur le brancard ne semble pas si convaincu. En dialoguant avec le Seigneur, nous apprenons à comprendre ce que nous voulons vraiment dans notre vie.

Ce paralytique est l’exemple typique des gens qui disent : « Oui, oui, je veux, je veux » mais je ne veux pas, je ne veux pas, je ne fais rien. Le vouloir faire devient une illusion et on ne fait pas le pas pour le réaliser. Ces gens qui veulent et ne veulent pas. C’est mauvais ça et ce malade 38 ans là, mais toujours avec les lamentations : « Non, tu sais Seigneur mais tu sais quand les eaux bougent – c’est le moment du miracle – tu sais, quelqu’un de plus fort que moi vient, entre et moi j’arrive en retard » , et il se lamente et se lamente. Mais attention, les lamentations sont un poison, un poison pour l’âme, un poison pour la vie car elles ne font pas grandir le désir de continuer. Méfiez-vous des lamentations. Quand on se lamente dans la famille, les époux se lamentent, ils se lamentent les uns des autres, les enfants de papa ou les prêtres de l’évêque ou les évêques de tant d’autres choses… Non, si vous vous trouvez dans la lamentation, faites attention, c’est presque un péché, parce que cela ne laisse pas grandir le désir.

Souvent, c’est précisément le désir qui fait la différence entre un projet réussi, cohérent et durable, et les milliers de velléités et de bonnes intentions avec lesquels, comme on dit, « l’enfer est pavé » : « Oui, je voudrais, je voudrais, je voudrais… » mais tu ne fais rien. L’époque où nous vivons semble favoriser une liberté de choix maximale, mais en même temps elle atrophie le désir, tu veux te satisfaire continuellement, le plus souvent réduit à l’envie du moment. Et nous devons faire attention à ne pas atrophier le désir. Nous sommes bombardés par mille propositions, projets, possibilités, qui risquent de nous distraire et de ne pas nous permettre d’évaluer calmement ce que nous voulons vraiment. Tant de fois, tant de fois, nous trouvons des gens, pensons aux jeunes par exemple, avec leur téléphone portable en main et ils cherchent, ils regardent… « Mais est-ce que tu t’arrêtes pour réfléchir ? ». – « Non. » Toujours extraverti, vers l’autre. Le désir ne peut pas croître ainsi, tu vis l’instant, rassasié à l’instant et le désir ne croît pas.

Beaucoup de personnes souffrent parce qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent de leur propre vie, beaucoup ! elles n’ont probablement jamais pris contact avec leur désir le plus profond, elles n’ont jamais su : « Que veux-tu de ta vie ? » – « Je ne sais pas. » . D’où le risque de passer son existence entre des tentatives et des expédients de toutes sortes, sans jamais arriver à rien, et en gaspillant de précieuses opportunités. Ainsi, certains changements, bien que souhaités en théorie, ne sont jamais mis en œuvre quand se présente l’occasion, il manque le désir fort de réaliser quelque chose.

Si le Seigneur s’adressait à nous aujourd’hui, par exemple, à l’un d’entre nous, la question qu’il a posée à l’aveugle de Jéricho : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Mc 10, 51), – pensons-y, le Seigneur demande à chacun d’entre nous aujourd’hui : « que veux-tu que je fasse pour toi ? » -, que répondrions-nous ? Peut-être pourrions-nous enfin lui demander de nous aider à connaître le profond désir de Lui, que Dieu lui-même a placé dans notre cœur : « Seigneur que je connaisse mes désirs, que je sois une femme, un homme de grands désirs » peut-être le Seigneur nous donnera-t-il la force de le réaliser. C’est une grâce immense, à la base de toutes les autres : permettre au Seigneur, comme dans l’Évangile, de faire des miracles pour nous : « Donne-nous le désir et fais-le grandir, Seigneur » .

Car Lui aussi a un grand désir pour nous : nous rendre participants de sa plénitude de vie.

Le livre de sa propre vie

Ces semaines-ci, nous insistons dans les catéchèses sur les conditions pour faire un bon discernement. Dans la vie, nous devons prendre des décisions, toujours, et pour prendre des décisions, nous devons faire un chemin, un processus de discernement. Toute activité importante comporte ses « instructions » à suivre, qu’il faut connaître pour qu’elles produisent les effets nécessaires. Aujourd’hui, nous nous concentrons sur un autre ingrédient indispensable au discernement : l’histoire de sa propre vie. Connaître son histoire de vie est un ingrédient – disons – indispensable au discernement.

Notre vie est le « livre » le plus précieux qui nous ait été donné, un livre que beaucoup ne lisent malheureusement pas, ou le font trop tard, avant de mourir. Et pourtant, c’est précisément dans ce livre que l’on trouve ce que l’on cherche inutilement par d’autres voies. Saint Augustin, un grand chercheur de la vérité, l’avait compris précisément en relisant sa vie, en y notant les pas silencieux et discrets mais incisifs de la présence du Seigneur. Au terme de ce parcours, il notera avec stupeur : « Tu étais au-dedans de moi et moi au-dehors. Et là, je te cherchais. De ma laideur, je me jetais sur les belles formes de tes créatures. Tu étais avec moi, mais moi je n’étais pas avec toi » (Confessions X, 27.38). D’où son invitation à cultiver la vie intérieure pour trouver ce que l’on cherche : « Rentre en toi-même. Dans l’homme intérieur habite la vérité » (La vraie religion, XXXIX, 72). C’est une invitation que je vous lancerais à vous tous, et même à moi-même : « Rentre en toi-même. Lis ta vie. Lis-toi de l’intérieur, comment a été ton parcours. Avec sérénité. Rentre en toi-même » .

Plusieurs fois, nous avons nous aussi fait l’expérience d’Augustin, de nous retrouver emprisonnés par des pensées qui nous éloignent de nous-mêmes, des messages stéréotypés qui nous font du mal : par exemple, « je ne vaux rien » – et tu te déprécies ; « tout va mal pour moi » – et tu te déprécies ; «je n’arriverai jamais à rien de bon » – et tu te déprécies, et ainsi est la vie. Ces phrases pessimistes qui te dépriment ! Lire sa propre histoire signifie aussi reconnaître la présence de ces éléments « toxiques », mais pour ensuite élargir la trame de notre récit, apprenant à remarquer d’autres choses, le rendant plus riche, plus respectueux de la complexité, parvenant également à saisir les manières discrètes de l’agir de Dieu dans notre vie. J’ai connu une personne dont les gens qui la connaissaient disaient qu’elle méritait le prix Nobel de la négativité : tout était mauvais, tout, et elle essayait toujours de se déprécier. C’était une personne amère qui avait pourtant tant de qualités. Et puis cette personne a trouvé une autre personne qui l’a bien aidée et chaque fois qu’elle se lamentait de quelque chose, l’autre personne lui disait : « Mais maintenant, pour équilibrer, dis quelque chose de bien sur toi ». Et lui : « Mais, oui, … j’ai aussi cette qualité », et petit à petit cela l’a aidée à avancer, à bien lire sa propre vie, aussi bien les mauvaises choses que les bonnes. Nous devons lire notre vie, et ainsi nous voyons les choses qui ne sont pas bonnes et aussi les bonnes choses que Dieu sème en nous.

Nous avons vu que le discernement a une approche narrative : il ne s’attarde pas sur l’action ponctuelle, il la situe dans un contexte : d’où vient cette pensée ? Ce que je ressens maintenant, d’où cela vient-il ? Où cela me mène-t-il ce que je suis en train de penser maintenant ? Quand l’ai-je rencontrée auparavant ? Est-ce que c’est quelque chose de nouveau qui me vient maintenant, ou l’ai-je constaté à d’autres moments ? Pourquoi est-elle plus insistante que d’autres ? Qu’est-ce que la vie veut me dire à travers cela ?

Le récit des événements de notre vie nous permet également de saisir des nuances et des détails importants, qui peuvent s’avérer des aides précieuses jusque-là restées cachées. Par exemple une lecture, un service, une rencontre, considérés à première vue comme des choses de peu d’importance, transmettent avec le temps une paix intérieure, transmettent la joie de vivre et suggèrent d’autres bonnes initiatives. S’arrêter et reconnaître cela est indispensable. S’arrêter et reconnaître : c’est important pour le discernement, c’est un travail de collecte de ces perles précieuses et cachées que le Seigneur a enfouies dans notre terre.

Le bien est caché, toujours, parce que le bien a de la pudeur et qu’il se cache : le bien est caché ; il est silencieux, il requiert une fouille lente et continue. Car le style de Dieu est discret : Dieu aime agir de manière cachée, discrète, il ne s’impose pas ; c’est comme l’air que nous respirons, nous ne le voyons pas mais il nous fait vivre, et nous ne nous en apercevons que seulement lorsqu’il nous manque.

S’habituer à relire sa propre vie éduque le regard, l’affine, permet de remarquer les petits miracles que le bon Dieu accomplit pour nous chaque jour. Quand nous sommes attentifs, nous remarquons d’autres directions possibles qui renforcent le goût intérieur, la paix et la créativité. Et surtout, cela nous libère des stéréotypes toxiques. Il a été dit avec sagesse que l’homme qui ne connaît pas son passé est condamné à le répéter. C’est curieux : si nous ne connaissons pas le chemin que nous avons parcouru, le passé, nous le répétons toujours, nous tournons en rond. La personne qui tourne en rond n’avance jamais, il n’y a pas de chemin, c’est comme le chien qui se mord la queue, elle va toujours comme ça, elle répète les choses.

Nous pouvons nous demander : ai-je déjà raconté ma vie à quelqu’un ? C’est une belle expérience vécue par des fiancés qui, lorsqu’ils deviennent sérieux, se racontent leur vie… C’est l’une des formes de communication les plus belles et les plus intimes, raconter sa propre vie. Elle nous permet de découvrir des choses jusqu’alors inconnues, petites et simples, mais, comme le dit l’Évangile, c’est précisément des petites choses que naissent les grandes (cf. Lc 16, 10).

Les vies des saints constituent également une aide précieuse pour reconnaître le style de Dieu dans notre vie : elles permettent de se familiariser avec sa manière d’agir. Certains comportements des saints nous interpellent, nous indiquent de nouvelles significations et de nouvelles opportunités. C’est ce qui est arrivé, par exemple, à saint Ignace de Loyola. Quand il décrit la découverte fondamentale de sa vie, il ajoute une précision importante, et il dit ceci : « Par expérience, il avait déduit que certaines pensées le laissaient triste, d’autres joyeux ; et peu à peu il apprit à connaître la diversité des pensées, la diversité des esprits qui s’agitaient en lui » (Autob., n° 8). Connaître ce qui se passe en nous, connaître, rester attentifs.

Le discernement est la lecture narrative des moments heureux et des moments difficiles, des consolations et des désolations que nous expérimentons au cours de notre vie. Dans le discernement, c’est le cœur qui nous parle de Dieu, et nous devons apprendre à comprendre son langage. Demandons-nous, à la fin de la journée, par exemple : que s’est-il passé dans mon cœur aujourd’hui ? Certains pensent que faire cet examen de conscience, c’est faire le compte des péchés que l’on a commis – nous en faisons beaucoup – mais c’est aussi se demander : « Que s’est-il passé en moi, ai-je eu de la joie ? ». Qu’est-ce qui m’a apporté de la joie ? Suis-je resté triste ? Qu’est-ce qui m’a apporté de la tristesse ? Et ainsi apprendre à discerner ce qui se passe au plus profond de nous.

L’objet du discernement. La désolation

Le discernement, nous l’avons vu dans les catéchèses précédentes, n’est pas principalement une procédure logique ; il concerne les actions, et les actions ont aussi une connotation affective, qui doit être reconnue, parce que Dieu parle au cœur. Voyons alors la première modalité affective, objet du discernement, c’est-à-dire la désolation. De quoi s’agit-il ?

La désolation a été définie ainsi : « Les ténèbres et le trouble de l’âme, l’inclination aux choses basses et terrestres, les diverses agitations et tentations qui la portent à la défiance, et la laissent sans espérance et sans amour, triste, tiède, paresseuse, et comme séparée de son Créateur et Seigneur ». (Saint Ignace de Loyola, Exercices spirituels, 317). Nous en avons tous fait l’expérience. Je crois que d’une façon ou d’une autre, nous avons fait l’expérience de cela, de la désolation. Le problème est comment pouvoir la lire, car elle aussi a quelque chose d’important à nous dire, et si nous sommes pressés de nous en débarrasser, nous risquons de la perdre.

Personne ne voudrait être désolé, triste : cela est vrai. Nous voudrions tous une vie toujours joyeuse, légère et épanouie. Pourtant cela, en plus d’être impossible — car ce n’est pas possible —, ne serait pas bon pour nous non plus. En fait, le changement d’une vie orientée vers le vice peut commencer d’une situation de tristesse, de remords pour ce que l’on a fait. L’étymologie de ce mot, « remords », est très belle : le remords de la conscience, nous connaissons tous cela. Remords : littéralement, c’est la conscience qui mord, qui ne laisse pas en paix. Alessandro Manzoni, dans Les fiancés, nous a donné une merveilleuse description du remords comme occasion de changer de vie. Il s’agit du célèbre dialogue entre le cardinal Federico Borromeo et l’Innomé, qui, après une nuit terrible, se présente détruit par le cardinal, qui s’adresse à lui à travers des paroles surprenantes : « Vous avez une bonne nouvelle à me donner, et vous me la faites désirer si longtemps ? ». « Une bonne nouvelle, moi ? » — répondit l’autre. « J’ai l’enfer dans mon âme » […]. Dites vous-même, si vous le savez, quelle est cette bonne nouvelle ». « Que Dieu a touché votre cœur et veut que vous soyez à lui, répondit avec calme le cardinal ». (Chap. XXIII). Dieu touche le cœur et quelque chose monte en toi, la tristesse, le remords de quelque chose, et c’est une invitation à commencer un chemin. L’homme de Dieu sait observer en profondeur ce qui bouge dans le cœur.

Il est important d’apprendre à lire la tristesse. Nous savons tous ce qu’est la tristesse : tous. Mais savons-nous la lire ? Savons-nous comprendre ce que cela signifie pour moi, cette tristesse d’aujourd’hui ? À notre époque, elle est — la tristesse — considérée le plus souvent de manière négative, comme un mal à fuir à tout prix, alors qu’elle peut être un signal d’alarme indispensable à la vie, nous invitant à explorer des paysages plus riches et plus fertiles que la fugacité et l’évasion ne permettent pas. Saint Thomas définit la tristesse comme une douleur de l’âme : comme les nerfs pour le corps, elle éveille notre attention à un possible danger, ou à un bien négligé (cf. Summa Th. I-II, q. 36, a. 1). Elle est donc indispensable à notre santé, elle nous protège afin que nous ne nous fassions pas de mal à nous-mêmes et aux autres. Il serait beaucoup plus grave et dangereux de ne pas ressentir ce sentiment et aller de l’avant. La tristesse joue parfois le rôle d’un feu rouge : « Arrête-toi, arrête-toi ! C’est rouge. Arrête-toi ».

Pour qui en revanche a le désir de faire le bien, la tristesse est un obstacle avec lequel le tentateur veut nous décourager. Dans ce cas, il faut agir de manière exactement contraire à ce qui est suggéré, déterminés à poursuivre ce que l’on s’était proposé de faire (cf. Exercices spirituels, 318). Pensons au travail, à l’étude, à la prière, à un engagement pris : si nous les abandonnions dès que nous ressentons de l’ennui ou de la tristesse, nous n’achèverions jamais rien. C’est aussi une expérience commune à la vie spirituelle : le chemin vers le bien, nous rappelle l’Évangile, est étroit et pentu, il exige un combat, une victoire sur soi-même. Je commence à prier, ou je me consacre à une bonne œuvre, et étrangement, précisément à ce moment-là, me viennent à l’esprit des choses devant être faites de toute urgence — pour ne pas prier et ne pas faire de bonnes œuvres. Nous faisons tous cette expérience. Il est important, pour qui veut servir le Seigneur, de ne pas se laisser guider par la désolation. Et ce qui… « Mais non, je n’ai pas envie, c’est ennuyeux… » : fais attention. Malheureusement, certains décident d’abandonner la vie de prière, ou le choix fait, le mariage ou la vie religieuse, poussés par la désolation, sans s’arrêter au préalable pour lire cet état d’esprit, et surtout sans l’aide d’un guide. Une règle sage dit de ne pas faire de changements quand on est désolé. Ce sera le temps qui suivra, plutôt que l’humeur du moment, qui montrera le bien-fondé ou pas de nos choix.

Il est intéressant de remarquer que, dans l’Évangile, Jésus rejette les tentations avec une attitude de ferme résolution (cf. Mt 3, 14-15 ; 4, 1-11 ; 16, 21-23). Les situations d’épreuve Lui arrivent de différentes directions, mais toujours, trouvant en Lui cette fermeté, déterminée à faire la volonté du Père, elles disparaissent et cessent d’entraver son chemin. Dans la vie spirituelle, l’épreuve est un moment important, la Bible nous le rappelle explicitement et dit : « Si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à l’épreuve » (Si 2, 1). Si tu veux aller sur la bonne voie, prépare-toi : il y aura des obstacles, il y aura des tentations, il y aura des moments de tristesse. C’est comme lorsqu’un professeur fait passer un examen à un étudiant : s’il voit qu’il connaît les points essentiels de la matière, il n’insiste pas : il a réussi l’épreuve. Mais il doit réussir l’épreuve.

Si nous savons traverser la solitude et la désolation avec ouverture et conscience, nous pouvons en sortir renforcés sur le plan humain et spirituel. Aucune épreuve n’est hors de notre portée ; aucune épreuve ne sera supérieure à ce que nous pouvons faire. Mais il ne faut pas fuir les épreuves : voir ce que signifie cette épreuve, ce que signifie le fait que je suis triste : pourquoi suis-je triste ? Que signifie le fait que je suis en proie à la désolation en ce moment ? Que signifie le fait que je suis en proie à la désolation et que je n’arrive pas à avancer ? Saint Paul nous rappelle que personne n’est tenté au-delà de ses capacités, car le Seigneur ne nous abandonne jamais, et avec Lui à nos côtés, nous pouvons surmonter toute tentation (cf. 1 Co 10, 13). Et si nous ne la surmontons pas aujourd’hui, nous nous relevons, nous marchons et nous la surmonterons demain. Mais ne pas rester morts — pour ainsi dire — ne pas rester vaincus à cause d’un moment de tristesse, de désolation : allez de l’avant. Que le Seigneur te bénisse sur ce chemin – courageux ! – de la vie spirituelle, qui est toujours marcher.

Pourquoi sommes-nous désolés ?

Nous avons vu combien il est important de lire ce qui se meut à l’intérieur de nous, afin de ne pas prendre de décisions hâtives, sur la lancée de l’émotion du moment, pour ensuite les regretter quand il est désormais trop tard. C’est-à-dire lire ce qui arrive et ensuite prendre les décisions.

En ce sens, même l’état spirituel que nous nommons désolation, quand dans le cœur tout est sombre, c’est triste, cet état de la désolation peut être une occasion de croissance. En effet, s’il n’y a pas un peu d’insatisfaction, un peu de tristesse salutaire, une saine capacité d’habiter la solitude, et d’être avec nous-mêmes sans fuir, nous risquons de rester toujours à la superficie des choses et de ne jamais prendre contact avec le centre de notre existence. La désolation provoque une « secousse de l’âme » : quand on est triste, c’est comme si l’âme était secouée ; cela tient en alerte, favorise la vigilance et l’humilité et nous protège du vent des caprices.

Ce sont des conditions indispensables pour le progrès dans la vie, et donc aussi dans la vie spirituelle. Une sérénité parfaite mais « aseptique », sans sentiments, lorsqu’elle devient le critère des choix et des comportements, nous rend inhumains. Nous ne pouvons pas ne pas prêter attention aux sentiments : nous sommes humains et l’émotion fait partie de notre humanité ; sans la compréhension des sentiments, nous serions inhumains, sans l’expérience des émotions, nous serions également indifférents à la souffrance des autres et incapables d’accueillir la nôtre. Sans compter qu’une telle « sérénité parfaite» ne saurait être atteinte par cette voie de l’indifférence. Cette distance aseptique : « Je ne me mêle pas aux choses, je garde mes distances » : ce n’est pas la vie, c’est comme si nous vivions dans un laboratoire, enfermés, pour ne pas avoir de microbes, de maladies. Pour de nombreux saints et saintes, l’inquiétude a été un élan décisif pour changer leur vie.

Cette sérénité artificielle n’est pas bonne, alors qu’elle est bonne la saine inquiétude, le cœur inquiet, le cœur à la recherche d’une voie à suivre. C’est le cas, par exemple, d’Augustin d’Hippone, ou d’Edith Stein, ou de Joseph Benoît Cottolengo, ou de Charles de Foucauld. Les choix importants ont un prix que la vie indique, un prix qui est à la portée de tous : En d’autres termes, les choix importants ne viennent pas par la loterie, non ; ils ont un prix et tu dois payer ce prix. C’est un prix que tu dois payer avec ton cœur, c’est un prix de la décision, un prix d’un effort continu. Ce n’est pas gratuit, mais c’est un prix à la portée de tous. Nous devons tous payer cette décision pour sortir de l’état d’indifférence, qui nous déprime, toujours.

La désolation est aussi une invitation à la gratuité, à ne pas agir toujours et uniquement en vue d’une gratification affective. Être désolés nous offre la possibilité de grandir, d’entamer une relation plus mature, plus belle avec le Seigneur et avec les personnes qui nous sont chères, une relation qui ne se réduit pas à un simple échange de donner et de recevoir. Souvenons-nous de notre enfance, par exemple souvenons-nous : enfants, souvent nous recherchions nos parents pour obtenir quelque chose d’eux, un jouet, de l’argent pour acheter une glace, une permission… Et donc nous les recherchions non pas pour eux-mêmes, mais pour un intérêt. Pourtant, le plus grand don, ce sont eux, les parents, et nous le comprenons en grandissant.

Beaucoup de nos prières sont aussi un peu comme cela, ce sont des demandes de faveurs adressées au Seigneur, sans réel intérêt à son égard. Nous ne cessons de demander, demander, demander au Seigneur. L’Évangile note que Jésus était souvent entouré de nombreuses personnes qui le cherchaient pour obtenir quelque chose, des guérisons, une aide matérielle, mais pas simplement pour être avec lui. Il était pressé par les foules, et pourtant il était seul. Certains saints, et même certains artistes, ont médité sur cette condition de Jésus. Il peut sembler étrange, irréel, de demander au Seigneur : « Comment vas-tu ? ». Au contraire, c’est une très belle manière d’entrer dans une relation vraie, sincère, avec son humanité, avec sa souffrance, voire avec sa singulière solitude. Avec Lui, avec le Seigneur qui a voulu nous faire partager pleinement sa vie.

Cela nous fait tellement de bien d’apprendre à être avec Lui, être avec le Seigneur sans autre but, exactement comme cela nous arrive avec les personnes que nous aimons : nous voulons les connaître toujours plus, parce qu’il est bon d’être avec elles.

Chers frères et sœurs, la vie spirituelle n’est pas une technique à notre disposition, ce n’est pas un programme de « bien-être» intérieur qu’il nous appartient de planifier. Non. La vie spirituelle est la relation avec le Vivant, avec Dieu, le Vivant, irréductible à nos catégories. Et la désolation est alors la réponse la plus claire à l’objection selon laquelle l’expérience de Dieu est une forme de suggestion, une simple projection de nos désirs. La désolation, c’est ne rien ressentir, tout est sombre : mais tu cherches Dieu dans la désolation. Dans ce cas, si nous pensons qu’elle est une projection de nos désirs, ce sera toujours à nous de le programmer, nous serions toujours heureux et satisfaits, comme un disque qui répète la même musique.

Au contraire, celui qui prie se rend compte que les résultats sont imprévisibles : des expériences et des passages de la Bible qui nous ont souvent donner de l’enthousiasme, aujourd’hui, étrangement, ne suscitent aucun sentiment. Et, de manière tout aussi inattendue, des expériences, des rencontres et des lectures auxquelles on n’avait jamais prêté attention ou qu’on aurait préféré éviter – comme l’expérience de la croix – apportent une paix inattendue immense. Ne pas craindre la désolation, la poursuivre avec persévérance, ne pas la fuir. Et dans la désolation, chercher à trouver le cœur du Christ, trouver le Seigneur. Et la réponse arrive, toujours.

Face aux difficultés, il ne faut donc jamais se décourager, s’il vous plait, mais affronter l’épreuve avec détermination, avec l’aide de la grâce de Dieu qui ne nous fait jamais défaut. Et si nous entendons en nous une voix insistante visant à nous détourner de la prière, apprenons à la démasquer comme la voix du tentateur ; et ne nous laissons pas impressionner : faisons tout simplement le contraire de ce qu’elle nous dit !

La consolation

Nous poursuivons les catéchèses sur le discernement de l’esprit : comment discerner ce qui se passe dans notre cœur, dans notre âme ? Et après avoir considéré quelques aspects de la désolation – cette nuit obscure de l’âme – parlons aujourd’hui de la consolation, qui serait la lumière de l’âme, et qui est un autre élément important pour le discernement, et à ne pas prendre pour acquis, car elle peut prêter à équivoque. Nous devons comprendre ce qu’est la consolation, tout comme nous avons essayé de bien comprendre ce qu’est la désolation.

Qu’est-ce que la consolation spirituelle ? C’est une expérience profonde de joie intérieure, qui permet de voir la présence de Dieu en toutes choses ; elle renforce la foi et l’espérance, ainsi que la capacité à faire le bien. La personne qui fait l’expérience de la consolation ne se résigne pas face aux difficultés, car elle éprouve une paix plus forte que l’épreuve. Il s’agit donc d’un grand don pour la vie spirituelle et pour la vie dans son ensemble. Et vivre cette joie intérieure.

La consolation est un mouvement intime qui touche au plus profond de nous-mêmes. Elle n’est pas ostentatoire, mais douce, délicate, comme une goutte d’eau sur une éponge (cf. saint Ignace de L., Exercices spirituels, 335) : la personne se sent enveloppée par la présence de Dieu, d’une manière toujours respectueuse de sa propre liberté. Ce n’est jamais quelque chose de discordant, qui cherche à forcer notre volonté, ce n’est pas non plus une euphorie passagère : au contraire, comme nous l’avons vu, même la douleur – par exemple pour ses péchés – peut devenir un motif de consolation.

Pensons à l’expérience de saint Augustin lorsqu’il parle avec sa mère Monique de la beauté de la vie éternelle ; ou à la joie parfaite de saint François – qui était par ailleurs associée à des situations très difficiles à supporter – ; et pensons à tant de saints et de saintes qui ont été capables de faire de grandes choses, non pas parce qu’ils se considéraient bons et capables, mais parce qu’ils ont été conquis par la douceur apaisante de l’amour de Dieu.

C’est la paix que saint Ignace observait en lui avec émerveillement quand il lisait la vie des saints. Être consolé, c’est être en paix avec Dieu, c’est sentir que tout est bien en ordre dans la paix, que tout est harmonieux en nous. C’est la paix qu’Édith Stein a éprouvée après sa conversion ; un an après avoir reçu le baptême, elle écrit – c’est ce que dit Édith Stein : « En même temps que je m’abandonne à ce sentiment, peu à peu une nouvelle vie commence à me combler et – sans aucune tension de ma volonté – à me pousser vers de nouvelles réalisations. Cet afflux de vie semble jaillir d’une activité et d’une force qui n’est pas la mienne et qui, sans faire violence à la mienne, se révèle active en moi. » (Psicologia e scienze dello spirito, Città Nuova, 1996, 116). Autrement dit, la paix véritable est une paix qui fait éclore des bons sentiments en nous.

La consolation concerne avant tout l’espérance, elle est orientée vers l’avenir, elle met sur le chemin, elle permet de prendre des initiatives qui jusqu’alors avaient toujours été reportées, ou même pas envisagées, comme le baptême d’Édith Stein.

La consolation est une telle paix, mais pas pour rester là assis à en profiter, non, elle te donne la paix et t’attire vers le Seigneur et te met sur le chemin pour faire des choses, pour faire de bonnes choses. Dans les moments de consolation, lorsque nous sommes consolés, nous avons le désir de faire de bonnes choses, toujours. Au contraire, lorsqu’il y a un temps de désolation, nous avons envie de nous refermer sur nous-mêmes et de ne rien faire. La consolation vous pousse en avant, au service des autres, de la société, des gens. La consolation spirituelle ne peut pas être « pilotée » – tu ne peux pas dire maintenant que vienne la consolation, non, elle ne peut pas être pilotée – elle ne peut pas être programmée à volonté, c’est un don du Saint-Esprit : elle permet une familiarité avec Dieu qui semble annuler les distances.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, visitant la basilique Sainte Croix de Jérusalem à Rome à l’âge de quatorze ans, cherche à toucher le clou qui y est vénéré, un de ceux avec lesquels Jésus a été crucifié. Thérèse ressent cette audace de sa part comme un transport d’amour et de confiance. Et puis elle écrit : « J’ai vraiment été trop audacieuse. Mais le Seigneur voit le fond des cœurs, il sait que mon intention était pure […]. Je me comportais avec lui comme un enfant qui se croit tout permis et considère les trésors du Père comme les siens » (Manuscrit autobiographique, 183).

La consolation est spontanée, elle te porte à tout faire spontanément, comme si tu étais un enfant. Les enfants sont spontanés, et la consolation vous amène à être spontané avec une douceur, avec une très grande paix. Une jeune fille de quatorze ans nous donne une splendide description de la consolation spirituelle : on ressent un sentiment de tendresse envers Dieu, qui rend audacieux le désir de participer à sa propre vie, de faire ce qui lui est agréable, parce qu’on se sent familier avec Lui, on sent que sa maison est notre maison, on se sent accueilli, aimé, restauré. Avec cette consolation, on ne peut capituler devant les difficultés : en effet, avec la même audace, Thérèse demandera au Pape la permission d’entrer au Carmel, même si elle est trop jeune, et elle sera exaucée. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cela signifie que la consolation nous rend audacieux : lorsque nous sommes dans un moment de ténèbres, de désolation, et que nous pensons : « Cela, je ne suis pas capable de le faire ». La désolation te déprime, elle te fait voir tout sombre : « Non, je ne peux pas le faire, je ne le ferai pas » . Au contraire, dans les moments de consolation, tu vois les mêmes choses d’une manière différente et tu dis : « Non, je vais aller de l’avant, je vais le faire ». « Mais tu es sûr ? » « Je sens la force de Dieu et je vais de l’avant ». Et donc, la consolation te pousse à aller de l’avant et à faire des choses qu’en temps de désolation tu ne serais pas capable de faire ; elle te pousse à faire le premier pas. C’est la beauté de la consolation.

Mais soyons prudents. Nous devons bien distinguer entre la consolation qui vient de Dieu des fausses consolations. Dans la vie spirituelle, il se passe quelque chose de semblable à ce qui se passe dans les productions humaines : il y a des originaux et des imitations. Si la consolation authentique est comme une goutte sur une éponge, elle est douce et intime, ses imitations sont plus bruyantes et plus ostentatoires, elles sont du pur enthousiasme, elles sont des feux de paille, sans consistance, elles conduisent au repli sur soi, et au désintérêt pour les autres. La fausse consolation finit par nous laisser vides, loin du centre de notre existence. Par conséquent, lorsque nous nous sentons heureux, en paix, nous sommes capables de tout faire. Mais ne pas confondre cette paix avec un enthousiasme passager, car l’enthousiasme est là aujourd’hui, puis il retombe et disparaît.

C’est pourquoi il faut faire preuve de discernement, même quand on se sent consolé. Car la fausse consolation peut devenir un danger si nous la recherchons comme une fin en soi, de manière obsessive, et que nous en oublions le Seigneur. Comme dirait saint Bernard, on cherche les consolations de Dieu et on ne cherche pas le Dieu des consolations. Nous devons chercher le Seigneur, et le Seigneur, par sa présence, nous console, et nous pousse à continuer. Et ne pas chercher Dieu pour qu’il nous apporte des consolations, avec cette insinuation, non, cela ne va pas, nous ne devons pas être à la recherche de cela. C’est la dynamique de l’enfant dont nous avons parlé la dernière fois, qui cherche ses parents uniquement pour obtenir des choses d’eux, mais pas pour eux-mêmes : il procède par intérêt. « Papa, maman » Et les enfants savent faire ça, ils savent jouer, et quand la famille est divisée, et qu’ils ont cette habitude de chercher ici et là, ce n’est pas bon, ce n’est pas de la consolation, c’est de l’intérêt.

Nous aussi, nous courons le risque de vivre notre relation avec Dieu de manière infantile, en cherchant notre propre intérêt, en essayant de réduire Dieu à un objet pour notre propre usage et notre consommation, en oubliant le plus beau don qui est Dieu Lui-même. Nous poursuivons ainsi notre vie, qui se passe entre les consolations de Dieu et les désolations du péché du monde, mais en sachant distinguer quand c’est une consolation de Dieu, qui te donne la paix jusqu’au fond de l’âme, de quand il s’agit d’un enthousiasme passager qui n’est pas mauvais, mais qui n’est pas la consolation de Dieu.

La consolation authentique

Dans notre réflexion sur le discernement, et en particulier sur l’expérience spirituelle appelée « consolation », dont nous avons parlé mercredi dernier, demandons-nous : comment reconnaître la vraie consolation ? C’est une question très importante pour un bon discernement, afin de ne pas se fourvoyer dans la recherche de notre vrai bien.

Nous pouvons trouver quelques critères dans un passage des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Il dit : « Si dans les pensées tout est bien – dit saint Ignace – le début, le milieu et la fin sont entièrement bons, orientés entièrement vers le bien, c’est le signe du bon ange. Mais si le déroulement de nos pensées nous amène finalement à quelque chose de mauvais, ou de distrayant, ou de moins bon que ce que l’âme projetait d’abord, ou qui affaiblit, inquiète et trouble l’âme en lui enlevant la paix, en lui enlevant la tranquillité et le repos qu’elle avait auparavant c’est un signe clair qu’il procède du mauvais esprit » (n° 333). Car c’est vrai : il y a une vraie consolation, mais il y a aussi des consolations qui ne sont pas vraies. Et pour cela, il faut bien comprendre le processus de la consolation : comment va-t-il et où me mène-t-il ? Et s’il me conduit à quelque chose d’inférieur, qui n’est pas bon, la consolation n’est pas vraie, elle est feinte, disons.

Et ce sont des indications précieuses, qui méritent un bref commentaire. Qu’est-ce que cela signifie que le début est orienté au bien, comme le dit St Ignace d’une bonne consolation ? Par exemple … prenons un exemple : j’ai la pensée de prier, et je remarque qu’elle s’accompagne d’affection envers le Seigneur et le prochain, elle invite à accomplir des actes de générosité, de charité : c’est un bon début. D’autre part, il peut arriver que cette pensée surgisse pour éviter un travail ou une tâche qui m’a été confiée : chaque fois que je dois faire la vaisselle ou nettoyer la maison, j’ai une grande envie de me mettre à prier ! Cela arrive dans les couvents, hein ? Mais la prière n’est pas une fuite des tâches, au contraire, elle est une aide pour réaliser ce bien que nous sommes appelés à faire, ici et maintenant. Voilà pour le début.

Il y a ensuite le milieu : Saint Ignace disait que le début, le milieu et la fin doivent être bons. Le principe est le suivant : j’ai envie de prier pour ne pas faire la vaisselle : va, fais la vaisselle et ensuite va prier. Ensuite, il y a le milieu, non ? C’est-à-dire ce qui vient après, ce qui suit cette pensée. En restant dans l’exemple précédent, si je commence à prier et que, comme le fait le pharisien de la parabole (cf. Lc 18, 9-14), j’ai tendance à me faire plaisir et à mépriser les autres, peut-être avec un esprit rancunier et aigre, alors ce sont des signes que l’esprit mauvais a utilisé cette pensée comme une clé pour entrer dans mon cœur et me transmettre ses sentiments. Si je vais prier et que je fais penser au fameux pharisien – « Je te remercie, Seigneur, parce que je prie, je ne suis pas comme les autres qui ne te cherchent pas, ne prient pas » – là, cette prière se termine mal. Cette consolation de la prière consiste à se sentir comme un paon devant Dieu. Et c’est le mode qui ne convient pas.

Et puis il y a la fin : le début, le milieu et la fin. La fin est un aspect que nous avons déjà abordé, à savoir : où me mène-t-elle une pensée ? Par exemple, où me mène la pensée de prier. Par exemple, ici, il peut arriver que je me consacre pleinement à une œuvre belle et digne, mais cela m’amène à cesser de prier, car je suis très pris par tant de choses, je me retrouve toujours plus agressif et irritable, je me figure que tout dépend de moi, au point de perdre la foi en Dieu. De toute évidence, il s’agit ici de l’action du mauvais esprit. Je me mets à prier, puis dans la prière je me sens omnipotent, que tout doit être entre mes mains parce que je suis le seul, le seul à savoir faire avancer les choses : évidemment là ce n’est pas le bon esprit. C’est-à-dire, bien examiner le parcours de nos sentiments et le parcours des bons sentiments, de la consolation, au moment où je veux faire quelque chose. Comment est le début, comment est le milieu et comment est la fin.

Le style de l’ennemi – quand nous parlons de l’ennemi, nous parlons du diable, hein ? Mais, le diable existe, il est là ! – Son style, nous le savons, est de se présenter de manière sournoise et déguisée : il commence par ce qui nous tient le plus à cœur et nous attire à lui, petit à petit : le mal entre en cachette, sans que la personne ne s’en rende compte. Et avec le temps, la douceur devient dureté : cette pensée se révèle pour ce qu’elle est vraiment.

D’où l’importance de cet examen patient mais indispensable de l’origine et de la vérité de ses pensées ; c’est une invitation à apprendre de l’expérience, de ce qui nous arrive, afin de ne pas continuer à répéter les mêmes erreurs. Plus nous nous connaissons nous-mêmes, plus nous détectons les points d’entrée du mauvais esprit, ses «mots de passe», les portes d’entrée de notre cœur, qui sont les points auxquels nous sommes le plus sensibles, afin d’y prêter attention à l’avenir. Chacun de nous a les points les plus sensibles, les points les plus faibles de sa personnalité : et là rentre le mauvais esprit et nous emmène… mais, vers la route qui n’est pas bonne, ou nous éloigne de la véritable bonne direction. Je vais pour prier mais ça nous éloigne de la prière.

On pourrait multiplier les exemples à volonté, en réfléchissant à nos journées. Et nous devons le faire : l’examen de conscience quotidien est si important : avant de terminer la journée, s’arrêter un moment. Que s’est-il passé ? Pas dans les journaux, pas dans la vie : que s’est-il passé dans mon cœur ? Mon cœur a-t-il été attentif ? A-t-il grandi ? A-t-il été une route où tout est passé, à mon insu ? Que s’est-il passé dans mon cœur ? Et cet examen est important, c’est l’effort précieux de relire la vie d’un point de vue particulier. Prendre conscience de ce qui se passe est important, c’est un signe que la grâce de Dieu agit en nous, nous aidant à grandir en liberté et en conscience. Nous ne sommes pas seuls : c’est l’Esprit Saint qui est avec nous. Voyons comment cela s’est passé.

La consolation authentique est une sorte de confirmation que nous faisons ce que Dieu veut de nous, que nous marchons sur ses chemins, c’est-à-dire sur les chemins de la vie, de la joie, de la paix. Le discernement, en effet, ne concerne pas simplement ce qui est bon ou le plus grand bien possible, mais ce qui est bon pour moi ici et maintenant : ainsi suis-je appelé à grandir, en fixant des limites à d’autres propositions, attrayantes mais irréelles, afin de ne pas me fourvoyer dans la recherche du vrai bien.

Frères et sœurs, il est nécessaire de comprendre, d’approfondir la compréhension de ce qui se passe dans mon cœur. Et pour cela, il faut faire l’examen de conscience, pour voir ce qui s’est passé aujourd’hui. « Aujourd’hui, je me suis mis en colère là, je n’ai pas fait ça… » : mais pourquoi ? Par-delà le pourquoi, il faut chercher la racine de ces erreurs. « Mais, aujourd’hui, j’ai été heureux mais je m’ennuyais parce que je devais aider ces gens, mais à la fin je me suis senti comblé, comblée pour cette aide » : et là, se trouve l’Esprit Saint. Apprendre à lire dans le livre de notre cœur ce qui s’est passé pendant la journée. Faites-le, juste deux minutes, mais ça vous fera du bien, je vous l’assure.

La confirmation de la bonne décision

Dans le processus de discernement, il est également important de rester attentif à la phase qui suit immédiatement la décision prise, – Je dois prendre une décision, Je fais un discernement, pour ou contre, des sentiments, je prie… puis ce processus se termine et je prends la décision et ensuite vient cette phase où nous devons faire attention : afin de voir, les signes qui la confirment ou ceux qui l’infirment. Parce que dans la vie, il y a des décisions qui ne sont pas bonnes et il y a des signes qui la démentent, en revanche elles confirment les bonnes.

En effet, nous avons vu que le temps est un critère fondamental pour reconnaître la voix de Dieu au milieu de tant d’autres voix. Lui seul est Seigneur du temps : c’est là une marque de son originalité, qui le distingue des imitations qui tentent de parler en son nom sans y parvenir. Un des traits du bon esprit est le fait qu’il communique une paix qui dure dans le temps : si tu prends une décision, un processus, puis tu prends la décision, si cela te donne une paix qui dure dans le temps, c’est un bon signe, que la démarche a été bonne. Une paix qui apporte harmonie, unité, ferveur, zèle. Tu sors du processus meilleur que tu n’y es entré.

Par exemple, si je prends la décision de consacrer une demi-heure supplémentaire à la prière, et puis je réalise que je vis mieux les autres moments de la journée, je suis plus serein, moins anxieux, je fais mon travail avec plus de soin et d’entrain, même les relations avec certaines personnes difficiles deviennent plus agréables… : ce sont tous des signes importants qui sont en faveur de la bonté de la décision prise. La vie spirituelle est circulaire : le bienfait d’un choix profite à tous les domaines de notre vie. Parce que c’est une participation à la créativité de Dieu.

Nous pouvons reconnaître certains aspects importants qui nous aident à discerner le moment qui suit la décision comme une possible confirmation de sa bonté. Le moment successif confirme la justesse de la décision. Par exemple, d’une certaine manière, nous les avons déjà rencontrés au cours de ces catéchèses, mais maintenant elles trouvent leur application ultérieure.

Un premier aspect est de savoir si l’on peut considérer la décision comme une éventuelle réponse à l’amour et à la générosité du Seigneur à mon égard. Elle ne naît pas de la peur, elle ne naît pas d’un chantage affectif ou d’une contrainte, mais elle naît de la gratitude pour le bien reçu, qui pousse le cœur à vivre avec générosité la relation avec le Seigneur.

Un autre élément important est la conscience d’être à sa place dans la vie – cette tranquillité d’esprit : « Je suis à ma place » – et le sentiment de faire partie d’un ensemble plus vaste, auquel on souhaite apporter sa contribution. Sur la place Saint-Pierre, il existe deux points précis – les foyers de l’ellipse – à partir desquels on peut voir les colonnes du Bernin parfaitement alignées. De même, l’être humain peut reconnaître qu’il a trouvé ce qu’il cherche lorsque sa journée devient plus ordonnée, qu’il perçoit une intégration croissante entre ses multiples centres d’intérêt, qu’il établit une correcte hiérarchie d’importance et qu’il réussit à vivre cela avec facilité, en affrontant les difficultés qui se présentent avec une énergie et une force d’âme renouvelées. Ce sont là des signaux que tu as pris une bonne décision.

Un autre bon signe, par exemple, de confirmation est le fait de rester libre par rapport à ce qui a été décidé, prêt à le remettre en question, voire à y renoncer face à d’éventuels démentis, en essayant d’y trouver un possible enseignement du Seigneur. Non pas parce que Lui veut nous priver de ce qui nous est cher, mais pour le vivre avec liberté, sans attachement. Seul Dieu sait ce qui est vraiment bon pour nous. La possessivité est l’ennemi du bien et elle tue l’affection, attention à cela, la possessivité est l’ennemi du bien, elle tue l’affection : les nombreux cas de violence dans la sphère domestique, dont nous avons malheureusement de fréquents reportages, naissent presque toujours de la prétention à posséder l’affection de l’autre, de la recherche d’une sécurité absolue qui tue la liberté et étouffe la vie, en en faisant un enfer.

Nous pouvons aimer seulement dans la liberté, c’est pourquoi le Seigneur nous a créés libres, libres même de lui dire non. Lui offrir ce qui nous est le plus cher est dans notre intérêt, cela nous permet de le vivre de la meilleure manière possible dans la liberté, comme un don qu’Il nous a fait, comme un signe de Sa bonté gratuite, sachant que notre vie, comme toute l’histoire, est entre Ses mains bienveillantes. C’est ce que la Bible appelle la crainte de Dieu, c’est-à-dire le respect de Dieu, non pas que Dieu me fasse peur, non : un respect, une condition indispensable pour accepter le don de la Sagesse (cf. Si 1, 1-18). C’est la crainte qui chasse toutes les autres craintes, car elle est orientée vers Celui qui est le Seigneur de toutes choses. Devant Lui, rien ne peut nous troubler. C’est l’expérience étonnante de saint Paul, ainsi disait Paul : « Je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance. J’ai été formé à tout et pour tout : à être rassasié et à souffrir la faim, à être dans l’abondance et dans les privations. Je peux tout en celui qui me donne la force. » (Ph 4, 12-13). Voilà l’homme libre, qui bénit le Seigneur à la fois lorsque surviennent les bonnes choses et lorsque surviennent les moins bonnes : qu’il soit béni et nous allons de l’avant.

Reconnaître cela est fondamental pour une bonne prise de décision, et nous rassure sur ce que nous ne pouvons pas contrôler ou prévoir : la santé, l’avenir, les êtres chers, nos projets. Ce qui importe, c’est que notre confiance est placée dans le Seigneur de l’univers, qui nous aime immensément et sait que nous pouvons construire avec Lui quelque chose de merveilleux, quelque chose d’éternel. La vie des saints nous le montre de la manière la plus belle qui soit. Allons de l’avant en cherchant toujours à prendre des décisions de cette manière, en priant et en éprouvant ce qui se passe dans notre cœur et avançons lentement, Courage allons !

La vigilance

Nous entrons à présent dans la phase finale de ce parcours catéchétique sur le discernement. Nous nous sommes d’abord appuyés sur l’exemple de saint Ignace de Loyola ; nous avons ensuite considéré les éléments du discernement – à savoir la prière, la connaissance de soi, le désir et le « livre de la vie » – ; nous nous sommes penchés ensuite sur la désolation et la consolation, qui en constituent la “matière” ; puis nous en sommes parvenus à la confirmation du choix effectué.

Je considère qu’il est nécessaire à ce point de rappeler une attitude essentielle afin de ne pas perdre tout le travail effectué pour discerner le meilleur et prendre la bonne décision, et cette attitude serait celle de la vigilance. Nous avons fait le discernement, consolation et désolation ; nous avons fait un choix… Tout va bien, mais à présent il faut être vigilant : l’attitude de la vigilance. Car le risque est bien là, comme nous l’avons entendu dans le passage de l’Évangile qui a été lu. Le risque est là, et c’est que le “trouble-fête”, c’est-à-dire le Malin, peut tout gâcher, nous faisant retourner au point de départ, voire dans un état encore pire. Et cela arrive, il faut donc être prudent et vigilant. C’est pourquoi il est indispensable d’être vigilant. C’est pourquoi aujourd’hui il me semble opportun de souligner cette attitude, dont nous avons tous besoin pour que le processus de discernement se termine bien et demeure.


En effet, dans sa prédication, Jésus insiste beaucoup sur le fait que le bon disciple est vigilant, qu’il ne s’endort pas, qu’il ne se laisse pas gagner par la présomption quand tout va bien, mais demeure alerte et prêt à accomplir son devoir.

Par exemple, dans l’Évangile de Luc, Jésus dit : « Restez en tenue de service, votre ceinture autour des reins, et vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur maître à son retour des noces, pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à la porte. Heureux ces serviteurs-là que le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller » (12,35-37).

Être vigilant pour surveiller notre cœur et comprendre ce qui se passe à l’intérieur. Il s’agit de l’état d’âme des chrétiens qui attendent la venue finale du Seigneur ; mais on peut aussi le comprendre comme l’attitude ordinaire à adopter dans la conduite de la vie, afin que nos bons choix, effectués parfois après un discernement exigeant, se réalisent avec persévérance et cohérence et portent du fruit.

Si la vigilance fait défaut, il y a un très fort risque, comme nous l’avons dit, que tout soit perdu. Ce n’est pas un danger d’ordre psychologique, mais d’ordre spirituel, un véritable piège de l’esprit mauvais. Celui-ci, en effet, attend le moment même où nous sommes trop sûrs de nous, c’est le danger : « Je suis sûr de moi, j’ai gagné, maintenant je suis bien… », c’est le moment que le mauvais esprit attend, quand tout va bien, quand tout va « à merveille » et quand nous avons, comme on dit, « le vent en poupe ». En effet, dans la petite parabole évangélique que nous avons entendue, il est dit que l’esprit impur, lorsqu’il revient dans la maison d’où il était sorti, « il la trouve inoccupée, balayée et bien rangée » (Mt 12,44). Tout est en place, tout est en ordre, mais où est le maître de maison ? Il n’est pas là. Il n’y a personne pour la surveiller et la garder. C’est là le problème. Le maître de maison n’est pas là, il est sorti, il est distrait ; ou bien il est dans la maison, mais il dort, et donc c’est comme s’il n’était pas là. Il n’est pas vigilant, il n’est pas prudent, car il est trop sûr de lui et a perdu l’humilité de veiller sur son propre cœur. Nous devons toujours veiller sur notre maison, notre cœur et ne pas nous laisser distraire et aller… car là se trouve le problème, comme le disait la parabole.

Donc, l’esprit mauvais peut en profiter et retourner dans cette maison. L’Évangile dit cependant qu’il n’y retourne pas seul, mais en compagnie de « sept autres esprits pires que lui » (v. 45). Une compagnie de malfaiteurs, une bande de délinquants. Mais – demandons-nous – comment est-ce possible qu’ils puissent entrer sans être inquiétés ? Comment se fait-il que le maître ne s’en aperçoive pas ? N’avait-il pas été si doué à faire le discernement et à les chasser ? N’avait-il pas aussi reçu les compliments de ses amis et voisins sur cette maison si belle et élégante, si bien rangée et propre ? Oui, mais peut-être que, précisément à cause de cela, il était trop entiché de la maison, c’est-à-dire de soi-même, et qu’il avait cessé d’attendre le Seigneur, d’attendre la venue de l’Époux ; peut-être que, par peur de détruire cet ordre, il n’accueillait plus personne, il n’invitait plus les pauvres, les sans-abris, ceux qui dérangeaient… Une chose est sûre : il s’agit ici de mauvais orgueil, de la présomption d’avoir raison, de bien faire, d’être en règle. Tant de fois nous entendons : « Oui, j’étais mauvais avant, je me suis converti, et maintenant, la maison est en ordre grâce à Dieu, et tu es tranquille pour cela… » Quand nous avons trop confiance en nous-mêmes et non dans la grâce de Dieu, alors le Malin trouve la porte ouverte. Puis il organise l’expédition et prend possession de cette maison. Et Jésus conclut : « L’état de cet homme-là est pire à la fin qu’au début » (v. 45).

Mais le maître ne s’en aperçoit-il pas ? Non, parce que ce sont les démons polis : ils entrent sans que tu ne t’en rendes compte, ils frappent à la porte, ils sont polis. « Non ça va bien, ok, allez, entrez… » et puis ils finissent par commander dans ton âme. Méfiez-vous de ces diablotins, de ces démons : le diable est poli quand il se fait passer pour un grand seigneur. Car il entre chez nous comme l’un des nôtres pour ensuite se révéler comme il est chez lui. Il faut protéger la maison de cette supercherie des démons bien éduqués. Et la mondanité spirituelle va dans ce sens, toujours.

Chers frères et sœurs, cela semble impossible mais c’est ainsi. Tant de fois nous perdons, nous sommes vaincus dans les batailles, à cause de ce manque de vigilance. Tant de fois, peut-être, le Seigneur a donné tant de grâces et à la fin nous ne sommes pas capables de persévérer dans cette grâce et nous perdons tout, parce que nous manquons de vigilance : nous n’avons pas protégé les portes. Et puis nous avons été trompés par quelqu’un qui vient, éduqué, et entre et bonjour… le diable a ces trucs. Chacun peut également le vérifier en repensant à son histoire personnelle. Il ne suffit pas d’opérer un bon discernement et un bon choix. Non, ce n’est pas suffisant : il faut rester vigilant, conserver cette grâce que Dieu nous a donnée, mais être vigilant, parce que tu peux me dire : « Mais quand je vois un certain désordre, je comprends tout de suite que c’est le diable, que c’est une tentation… » oui, mais cette fois-ci il est déguisé en ange : le diable sait se déguiser en ange, il entre avec des mots courtois, et il te convainc et à la fin la situation est pire qu’au départ… Il faut rester vigilant, veiller sur son cœur. Si aujourd’hui je demandais à chacun d’entre nous et aussi à moi-même : « qu’est-ce qui se passe dans ton cœur ? ». Nous ne pourrions peut-être pas tout dire : nous dirions une ou deux choses, mais pas tout. Veiller sur son cœur, car la vigilance est signe de sagesse, elle est surtout un signe d’humilité, parce que nous avons peur de tomber, et l’humilité est la voie royale de la vie chrétienne.

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Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens

Cette publication a un commentaire

  1. Charles TCHIKITI

    Cher révérend Père Soyez infiniment béni au nom Puissant de Dieu. Merci beaucoup pour cet enseignement très instructif.

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