Les prophètes et l’éducation à la prière

Prière au mur des Lamentations
Prière au mur des Lamentations

Les prophètes ont pour charge principale de transmettre les messages du Seigneur au peuple, dont le roi est le premier responsable. Bien souvent, les prophètes ont interpelés les fils d’Israël sur leur vie de prière pour les ramener à l’essentiel.

Le temple, lieu d’entrainement à la prière

Les signes de l’accomplissement des promesses divines sont entre autres : la possession de la terre, le roi et le Temple. Ce dernier apparaît comme le cœur même de la cité d’Israël, car le Temple est le lieu par excellence de la présence du Seigneur. Quand on sait que tout converge vers le Seigneur, on perçoit le rôle irremplaçable du temple dans la structuration de la vie de prière peuple. En clair, le Temple est pour le peuple de Dieu, le lieu propice de son éducation à la prière.

Il suffit, pour s’en convaincre, de voir l’organisation des pèlerinages individuels, communautaires et nationaux organisés périodiquement ou annuellement, la célébration de la Pâque, les multiples sacrifices et holocaustes, l’organisation des fêtes mémorielles pour comprendre l’incidence du Temple dans la vie du peuple. On se rappelle bien la famille d’Elqana qui allait au Temple, chaque année, en pèlerinage (1S 1, 4-28). On se souvient aussi de notre Seigneur Jésus, qui dès l’âge de 12 ans, a commencé, lui aussi, à fréquenter le Temple, selon les dispositions de la loi juive (cf. Lc 2, 41-51). La vie de prière du peuple se forme par l’organisation de la piété dans le Temple.

Nos chapelles ont donc une fonction proprement éducative. Alors que de plus en plus de fidèles chrétiens, au nom de la privatisation de la foi, pensent qu’ils peuvent se passer d’aller à l’église et prier leur Dieu dans leur coin, toute l’histoire de la Bible et toute l’histoire de l’Église démontrent que la vie spirituelle des fidèles et des familles, des groupes et des communautés, se forgent à l’ombre du sanctuaire. C’est si vrai qu’après avoir chassé les commerçants du Temple de Jérusalem, Jésus motive son action par une phrase : « Il est écrit : ma maison sera maison de prière » (Mt 21, 13 ; Is 56, 7).

L’église est donc principalement et uniquement un lieu de prière, un lieu où se célèbrent les sacrements, où se proclame la Parole de Dieu et où les chrétiens peuvent venir se mettre en présence de Dieu. On comprend donc la souffrance des Juifs quand, au moment de l’exil, ils n’ont plus de lieu où « offrir les oblations et holocaustes ». Ressentez l’amertume du psalmiste qui prie : « Ils ont livré au feu ton sanctuaire, profané et rasé la demeure de ton nom. Ils ont dit : « Allons ! Détruisons tout ! » Ils ont brûlé dans le pays les lieux d’assemblées saintes. Nos signes, nul ne les voit ; il n’y a plus de prophètes ! Et pour combien de temps ? Nul d’entre nous ne le sait ! » (Ps 73, 7-9)

On comprend aussi aujourd’hui la préoccupation des chrétiens de voir une église s’ériger dans leur milieu. L’animation de la prière à l’église, lieu de rassemblement du peuple croyant, est l’un des signes de la vitalité spirituelle du peuple et un creuset de la formation de sa vie de prière. La fermeture d’une chapelle est donc toujours un drame au plan spirituel pour la communauté des croyants.

Toutes les formes de célébrations dans une chapelle sont autant de chemins de prières. Dans une église, il s’organise plusieurs dévotions et célébrations. S’il est vrai que tout ne répond pas au goût de tous, il est certain qu’une partie des fidèles du Christ trouvera son compte dans une dévotion et une autre dans une autre. Ainsi donc, dans la chapelle, se tracent plusieurs chemins afin que les fidèles, les empruntant, chacun selon son aise, se mettent en relation avec leur Dieu.

De la même manière, le fait qu’inlassablement, au long des jours et des nuits, les fidèles soient appelés à se mettre ensemble pour prier est un signe que tous nous sommes invités à prier sans cesse. La multiplicité des groupes de prière et de dévotion est un appel lancé aux hommes pour qu’ils prient, à la manière du maître qui n’a de cesse de prier. Sous les prophètes et les rois, le temple devient donc la maison de prière et d’entrainement à la prière. Le ministère des prophètes consiste aussi à prévenir contre une déviation mortelle pour l’esprit de prière : l’hypocrisie spirituelle qui se manifeste par le ritualisme.

Avertissement des prophètes contre le ritualisme

Les prophètes interviendront pour prévenir contre le ritualisme. La vie de prière était pratiquement réduite à un ensemble de pratiques extérieures, d’accomplissements formels des dispositions légales sans implication du cœur. On s’acquitte envers le Seigneur en ayant le cœur loin de lui. C’est contre ce ritualisme que s’insurgent les prophètes et le Fils de Dieu : « Ce peuple s’approche de moi en me glorifiant de la bouche et des lèvres, alors que son cœur est loin de moi, parce que la crainte qu’ils ont de moi n’est que précepte enseigné par les hommes » (Is 29, 13. cf. Mc 7, 6).

Le ritualisme menace aujourd’hui plus que jamais notre relation avec Dieu. La vie de prière n’est pas tant le respect d’un ensemble de normes cultuelles que l’attachement du cœur à Dieu. Quand on voit des chrétiens soucieux des cendres du mercredi des Cendres, de la mortification du vendredi saint, des jeûnes du temps de carême, des neuvaines et des offrandes et en même temps reprouvant le pardon, la prière désintéressée, la vie fraternelle, la justice et la conversion du cœur, on est droit d’être sérieusement préoccupé. Il n’y a rien qui puisse déplaire à Dieu qu’une relation de troc où l’on accomplit des gestes extérieurs ponctuels envers lui sans que le cœur ne soit vraiment converti à lui.

Les rites extérieurs nous invitent à une disposition intérieure de vérité de relation avec Dieu. Si je reçois le baptême, c’est pour vivre en enfant de Dieu. Le sacrement n’est pas un diplôme. C’est un état spirituel qui est conféré pour une vie nouvelle avec le Père par le Fils dans l’Esprit. Si je fais pénitence, c’est pour éviter désormais de tomber dans le péché. Le sacrement de réconciliation n’est pas une justification pour s’empêtrer dans le péché. Si je dis aimer véritablement Dieu, je dois forcément travailler à aimer mon frère et ma sœur et à construire une relation épanouissante avec eux. Pour sortir du ritualisme, il faut que le cœur accompagne les gestes ou que les gestes soient la traduction des dispositions du cœur. Les prophètes vont ramener le peuple de cet égarement, de leur infidélité à Dieu. Ils prêcheront la conversion du cœur.

Appel des prophètes à la conversion des cœurs

Revenons sur le triste constat des prophètes et du Christ : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi » (Mc 7,6). Il fustige un type de prière qui ne vient pas du cœur de l’homme et qui n’atteint pas le cœur de Dieu. Le Seigneur déteste cette forme de prière à cause de l’opposition entre la langue et le cœur. Dans cette sentence, se dessine une vérité : l’authenticité de la prière dépend de la proximité de la personne avec le Seigneur. Le cœur est le lieu secret et intime de l’homme. Il représente à lui seul tout l’homme. Avoir le cœur éloigné de Dieu, ce n’est ni plus ni moins se détourner de lui.

La prière d’une personne qui refuse de s’ouvrir à l’appel de Dieu, au cri de son Fils de se convertir à l’évangile, s’apparente à une prière sans contenu, une prière sans consistance. Que sert-il de sembler entretenir une relation avec le Seigneur et d’avoir une vie complètement en déphase avec sa volonté. La conversion du cœur à l’évangile se dévoile donc comme un critère authentique de discernement de la vérité de nos prières. Quand la prière provient d’un cœur qui se tourne vers le Seigneur, elle monte et parvient à l’autel du Seigneur. À nous de nous poser une question : « Y a-t-il une cohérence entre ma prière et ma vie ? Ma prière me transforme-t-elle ? » Il faut le savoir, dans la prière, le cœur passe en premier.

Tant que nous allons continuer à adresser des prières longues et insistantes à Dieu et refuser, du même souffle de changer certains aspects de notre vie, nos prières seront toujours des théâtres devant le Seigneur : simulacres de prières du fait de la résistance de la personne elle-même à l’appel divin de se convertir. Comment peut-on adresser une prière sincère à Dieu quand on passe sa nuit à méditer le mal ? Comment peut-on prier dans la vérité tout en continuant à fréquenter les idoles ? En appelant à la conversion des cœurs au Seigneur, les prophètes ont très vite entrepris une éducation à la foi.

Une éducation de la foi par les prophètes

L’éducation de la foi dévient une nécessité pour améliorer la qualité de la prière. C’est bien progressivement que le peuple d’Israël a compris le Dieu qui se révèle à lui. Plus on connaît Dieu, mieux on peut s’adresser à lui. En fustigeant le ritualisme du peuple, en indiquant les comportements qui plaisent au Seigneur, en faisant une meilleure présentation de Dieu à son peuple, les peuples vont transformer progressivement la prière du peuple. Le prophète Osée écrira : « Je veux la fidélité, non le sacrifice, la connaissance de Dieu plus que les holocausts. » Os 6,6.

Jésus ira dans le même sens, à travers ses enseignements sur la prière. Trois exemples, pris uniquement de son enseignement sur la montagne, suffisent à nous éclairer sur ce souci éducatif du Christ. Le premier : « Lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (Mt 5, 23-24). Il s’agit là de l’incidence négative des difficultés relationnelles avec nos frères et sœurs sur la prière que nous adressons au Seigneur. On ne peut prétendre être en paix avec Dieu si l’on ne l’est avec son prochain.

Deuxième exemple : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 43-45). Le chrétien qui s’adresse au Seigneur doit ouvrir sa prière à la dimension des besoins de tous. Il n’y a pas de prière en faveur des uns et contre les autres. Car, Dieu fait indifféremment du bien à tous les hommes, bons ou mauvais. Il faut éviter de prier contre les autres, quels qu’ils soient.

Troisième exemple : « Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. » (Mt 6, 6-7). Ceci appelle à la discrétion dans la prière mais aussi à rejoindre Dieu à l’intérieur de nous-mêmes, puisqu’il y est présent. De la même manière, prier ne consiste pas en un flot de paroles, c’est parfois deux mots ou trois : « Seigneur, Merci » ; « Seigneur, prends pitié » ; « Seigneur, je t’aime » ; « Seigneur, que ta volonté soit faite ». Tous ces enseignements montrent bien qu’il est nécessaire de se former à la prière véritable.

Le chrétien aura tout intérêt à s’inscrire dans une école de prière. La prière, certes, est un cri poussé vers le ciel, mais il faut savoir pousser ce cri. Plusieurs personnes considèrent comme une perte de temps de s’inscrire dans une école de prière. Et pourtant, cette dernière est un excellent lieu d’éducation à la prière. La purification de notre prière est dépendante en effet de la profondeur de notre foi. Ce motif est suffisant pour que nous cherchions à mieux connaître qui est notre Dieu et de quelle manière il veut que nous nous adressons à lui.

Le peuple de Dieu a été entraîné à la prière par le rôle central du Temple dans sa vie. Alors que les fils d’Israël tombaient de plus en plus dans le formalisme et le ritualisme, en dissociant prière et vie concrète, la voix des prophètes va se lever pour les en avertir et les appeler à la conversion du cœur. Ces prophètes s’adonnent dès lors à l’éducation de la foi de ce peuple pour leur permettre d’adresser au Seigneur une prière qui lui plaise. Le prophète Élie en sera une figure marquante.

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Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens