Jésus-Christ aujourd’hui : business ou foi ?

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La question est cinglante dans sa formulation pour que chacun dise l’arrière-goût final qui lui reste quand il pense à tous les systèmes et institutions dont le centre d’intérêt est Jésus-Christ. La question se pose encore plus quand on voit la multiplicité des Églises qui professent le même nom de Jésus-Christ, les unes pourtant aussi variées que les autres. Elle garde toute son actualité quand on considère de plus en plus le contenu des points d’insistance dans les prédications des pasteurs. Au nom du Christ, la foi est prêchée. Au nom de ce même Christ, on fait des affaires. Que comprendre finalement ? Comment faire le discernement ? C’est l’objectif de ce sondage d’opinion.

Je remercie les participants à ce sondage qui ont dit ce qui affleure leur sensibilité chaque fois que sacré et argent se mêlent. Je voudrais encore et encore remercier tous ceux qui ont eu le courage d’intervenir sur le sujet, sans complexe et sans complaisance, parfois, sinon souvent, contre leur propre communauté religieuse.

À tête posée je voudrais faire le point et oser une petite clarification.

Des 160 intervenants, plus de 75 % ont plébiscité pour le business. Pour eux, ce business, du côté des nouveaux mouvements religieux qui n’ont de cesse de se multiplier, est la conséquence du chômage, de la faim et de l’incapacité à trouver un travail honorable. Jésus-Christ semble être l’alibi qui paye le plus vite et surtout le mieux. On est prêt à tous les moyens occultes pour parvenir à sa fin. On choisit les textes à dessein pour haranguer les participants, les pauvres en l’occurrence, et les dépouiller des maigres ressources qu’ils possèdent.
Du côté de l’Église catholique, on déplore la multiplicité des quêtes et surtout l’utilisation des sacrements pour imposer des frais exorbitants aux candidats. Le baptême, la première communion, la confirmation, le mariage, les funérailles, tout coûte cher dans l’Église et chaque jour un peu plus. On va jusqu’à se demander si c’est le Christ qui demande tout cela !

Des 25 % restant, une infime partie, soit 7 %, s’est penchée du côté de la foi et l’autre partie, 18 % s’est prêtée à une réflexion ambivalente, expliquant les raisons qui pourraient induire à la conclusion que Jésus est objet de foi ou de business.

Ce sondage est révélateur de la relation que les fidèles chrétiens, tout bord confondu, ont avec le fait religieux surtout quand l’argent y intervient. Je me permets, à la suite de quelques rares intervenants de faire quelques observations.

Beaucoup de ceux qui ont réagi, bien que n’ayant pas totalement tort de relever les abus du nom et de la Parole du Christ pour demander l’argent, ont occulté complètement la diversité des situations selon l’Église que l’on fréquente. Il y a une nette différence entre les communautés paroissiales, selon qu’elles soient urbaines ou rurales, naissantes ou anciennes, en paix ou en crise, etc. Elles n’ont pas les mêmes besoins et les mêmes exigences en termes de dépenses.

Si la majorité des fidèles a l’impression de subir une pression financière sans proportion dans l’Église, c’est justement parce qu’ils ignorent partie ou tout des pressions qu’ils pèsent sur les épaules des responsables et des conseils de la gestion économiques des paroisses et institutions. Les fidèles ne voient que les recettes et non pas les dépenses. Je me suis astreint un jour à faire le point des dépenses trimestrielles aux membres du Conseil pastoral paroissial et ils étaient renversés de voir qu’il y ait si tant de dépenses sur la paroisse.

Les fidèles veulent que leur paroisse soit belle comme telle autre paroisse mais ils oublient que la moindre décision sur une paroisse a des conséquences financières astronomiques au niveau du Conseil économique pour les affaires économiques. Ils réclament à cor et à cri de belles églises, oubliant qu’il faut y investir des centaines de millions pour y parvenir. Le service de la Caritas est budgétivore, car les pauvres sont nombreux et personne ne sait combien une paroisse dépense pour soulager les pauvres. Les précarités sociales sont ressenties par les responsables des communautés paroissiales car beaucoup font appel à eux pour les aider dans leur souffrance. Plus de 80 % de ceux qui viennent voir les curés ou les prêtres vont pour demander aide et assistance financière. Personne ne voit cela, car il n’est pas décent d’en parler.

Pour mon expérience personnelle, parfois, en pleine ville de Cotonou, les dépenses sont si grandes que le minimum me manquait pour subvenir aux besoins toujours urgents sur une paroisse. J’ajouterai que les paroisses et les institutions ne sont pas gérées par les seuls curés. Il y a toute une structure de gestion et de redditions de compte à périodicité rapprochée et fixe. Les institutions et les paroisses fonctionnent sur une budget prévisionnel en termes de fonctionnement, d’investissement, d’entretien et de maintien. La gestion financière des paroisses est complexe et les prêtres ne peuvent pas mettre la main dans l’argent de la paroisse au risque de se mettre eux-mêmes en difficulté.

Dans la vérité, nos communautés ne sont pas encore suffisamment éduquées à la spontanéité du don. Certes, il y a de plus en plus de personnes, à cause de leur proximité dans la gestion financière d’une paroisse ou à cause des enseignements reçus, commencent à ouvrir la main pour donner du mieux qu’ils peuvent. Je puis vous confesser que, pour un curé, c’est un grand souci de devoir se tenir devant l’ambon pour demander de l’argent. Il est encore plus gêné que le fidèle auquel il demande. C’est justement le défaut de cette spontanéité dans le don qui fait que nous ressentons la pression et que nous pouvons pencher pour le fait que le nom du Christ est annoncé moins pour amener à la foi que pour faire du profit.

Un jour j’échangeais avec une personne, mariée et ayant son foyer et son travail. Elle m’a avoué n’avoir jamais donné au-delà de 150 F au total à la messe quelles que soient les sollicitations du prêtre. Elle se demandait même ce qu’on pouvait faire avec l’argent. Acheter le vin et l’hostie n’a pas besoin d’autant d’argent, me disait-elle avec humour. J’ai eu du mal à lui ouvrir les yeux. Je ne sais pas si elle a changé de position jusqu’à présent. A contrario, j’ai fait d’autres communautés où on ne fait qu’une seule quête. J’ai constaté, ahuri, que les gens, dans cette partie de l’Afrique noire, ne donnaient que des billets à l’Église. Le père gardait 5000 F, la mère 2000 F et à chaque enfant, le papa remettait 1000 F pour la quête. L’image m’est restée définitivement dans le crâne. Ces enfants à qui l’on remet 1000 F pour la quête comprennent déjà qu’à l’Église, il faut faire une bonne offrande à Dieu. Sur ces paroisses, on ne fait qu’une seule quête.

L’un des problèmes que touche ce sujet est donc l’éducation au don. Nos communautés n’ont pas encore des enseignements solides sur la prise en charge de la paroisse. Les responsables de groupe peuvent déjà dire combien ils se sacrifient pour tenir juguler les dépenses dans leur groupe. Bien souvent, ils y mettent leur propre argent. Ce qui est vrai à cette échelle l’est davantage à plus grande échelle. Ils ne savent pas que les dépenses de la paroisse, des groupes, relèvent de leur responsabilité.

Les curés de paroisse sont parfois obligés, contre leur gré, de profiter de la célébration des sacrements pour demander des efforts aux fidèles. Mais c’est toujours mal ressenti. L’exemple palpable est le payement du denier de culte. Nous avons une année pour payer notre denier de culte. Mais certaines personnes n’y songent pratiquement jamais et c’est seulement l’occasion de la confession qui les y oblige. Du coup, on pense qu’il y a un lien entre confession pascale et denier de culte, avec la déduction que la confession est subordonnée au paiement du denier de culte. Ce qui n’est pas vrai. Si les prêtres obligent à payer le denier de culte avant de se confesser, c’est bien pour notre éducation à la participation financière de chaque fidèle pour la vie de l’Église.
Je comprends que les réactions à plus de 75 % penchent pour le business. La raison est simple : Il faut être au niveau de la gestion pour comprendre. Je voudrais, avant de passer à une autre considération de mon propos, laver l’honneur des prêtres. Certains ont dit que les prêtres, une fois ordonnés, ne pensent qu’à acheter des voitures et sont prêts à tous les moyens pour y parvenir et se donner aux vices après. Je trouve ce point de vue, en plus d’être très pessimiste et exagéré, de friser l’injustice. Les prêtres ne sont pas des miséreux, manquant de tout. Ils savent faire des bénéfices, ils ont des parents, des amis et des bienfaiteurs. Les gens leur donnent personnellement de l’argent parce qu’ils sont prêtres. Je crois qu’il faut éviter de porter un jugement sur une réalité qu’on ne maîtrise pas.

Le deuxième niveau de mon analyse revient non pas au regard que nous posons sur les autres, les responsables de l’Église en particulier, mais sur celui que nous posons sur nous-mêmes dans notre rapport au Christ. Quelques-uns ont dit que le Christ est sujet de foi. D’autres ont précisé qu’ils ne s’occupaient pas de ce qu’on faisait avec l’argent, mais de la parole annoncée et reçue. Je crois que beaucoup de fidèles peuvent passer à côté de la grâce s’ils passent leur temps à regarder les prêtres et les pasteurs. Le plus important est la relation personnelle que nous avons avec notre Dieu. En venant à l’Église, je suis conduit par une démarche de foi et je me dois d’y rester jusqu’au terme de la prière. Dans ce sens, on cherche plutôt la nourriture spirituelle qu’il y a derrière l’annonce de Jésus plutôt que de rechercher les arrière-pensées des autres.

Le sondage montre donc une superficialité de la foi que nous devons infléchir par des formations. Nous venons à l’Église pour nous nourrir du Christ et de sa Parole. Sous ce rapport, la confiance (qui vient de la foi) est la première vertu à développer. Dire aujourd’hui que le Christ est plus sujet de business que de foi pose donc le problème sérieux de l’importance de l’Église dans notre vie. Quel est encore le rôle de l’Église si nous n’y voyons qu’une machine à sous ?

Je crois personnellement que nous devons tous et chacun, dans une grande mesure, revoir notre relation à l’Église. Les avis émis sont indicateurs d’une privatisation ou d’une sécularisation de la foi, ce qui est un danger pour la construction d’une communauté de foi au profit des individualités.

Certes, certaines personnes peuvent bien se servir du Christ pour arranger leur situation sociale. Je ne suis pas dans le secret des sectes. Mais pour ce qui concerne l’Église catholique à laquelle nous appartenons, je puis vous dire que l’argent est son dernier souci. Si elle donne l’impression d’en demander trop, c’est dû à des contingences qu’elle essaie au mieux d’évacuer. L’Église catholique ne peut jamais se mettre au service de l’argent au point de se servir du nom de son Seigneur pour amasser des biens matériels. Si elle demande de l’argent, c’est plus pour soulager les pauvres, par la mise en places des infrastructures et structures de charité, c’est pour mieux fonctionner et pour la cause de l’Évangile.

Si nous posons sur notre Église un tel regard, nous découvrirons la grande compassion qu’elle a pour les pauvres mais en même temps le grand devoir que nous avons de lui venir en aide, elle qui ne compte que sur les dons des humbles et non celui des puissants de la terre, pour porter au monde entier, le message d’amour du Christ.

Prions pour notre Église catholique et pour les chrétiens dans le monde entier. Puissent-ils ouvrir la main pour redonner à Dieu ce qu’il leur donne sans réserve. Celui qui reçoit est appelé à donner ; à celui donne est faite la promesse d’en recevoir encore plus.

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Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens