Prière et événements de l’histoire

Abraham sacrifiant Isaac
Abraham sacrifiant Isaac

Nous savons désormais que la prière est une relation vraie, vivante et personnelle avec Dieu, une relation de don, d’alliance et de communion. Il reste cependant un autre pas à franchir pour mieux définir la prière chrétienne. Il s’agit de la place des événements qui jalonnent l’histoire des hommes et notre propre histoire dans cette relation. La prière, en effet, prend corps dans les différentes situations, heureuses ou moins heureuses, que traversent les hommes. D’ailleurs, le catéchisme de l’Église catholique, tout en la définissant comme une relation, précise que cette dernière se tisse avec Dieu dans les événements de l’histoire.La Bible regorge, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, de grands témoins de la prière. Il sera une gageure de prétendre les étudier tous dans cette modeste recherche. Ici, nous faisons l’option d’identifier des figures d’avant-garde pour découvrir leur vie de prière à travers leur marche avec le Seigneur.

Première partie : La prière dans l'Ancien Testament

Une personne habituée à lire la Bible n’aura pas de peine à remarquer immédiatement que

« la constante la plus stable des prières de l’Ancien Testament est sans doute leur relation directe aux événements : on prie à partir de ce qui est arrivé, de ce qui arrive et pour qu’il arrive quelque chose, pour que le salut de Dieu soit donné à la terre »

Pour le vérifier, nous nous focaliserons, après un bref aperçu sur quelques personnages des 11 premiers chapitres de la Genèse, sur les figures d’Abraham, de Moïse, de David et du prophète Eli. Chacune de ces figures est symbolique des grands moments de l’histoire du peuple d’Israël.

La création comme une source de prière

S’il est vrai que les onze premiers chapitres de la Bible ne nous permettent pas de percevoir la prière dans sa forme bien structurée, il est néanmoins honnête de reconnaître qu’ils ne sont pas non plus dépourvus de tout élan de prière. En vérité, la particularité du langage de ces chapitres nous permet de comprendre qu’ils décrivent l’expérience commune à tous les hommes, chrétiens ou non, en matière de prière.

Dans toutes les traditions spirituelles, la prière se présente comme une offrande, ainsi que nous le découvrons à travers les figures d’Abel et de Noé. Il s’agit d’offrir les biens tirés de son milieu de vie, en signe de reconnaissance. Nous rendons au Seigneur ce que sa création nous donne, pour obtenir de lui un surcroît de bénédiction. Tous les événements de la vie sont donc ponctués d’offrandes.

Cette offrande n’est agréée par Dieu que si le cœur qui l’offre est bon. Dieu accueillait favorablement les présents d’Abel (Gn 4,4), qualifié de « juste » tout comme ceux de Noé dont le cœur est « juste et intègre » (Gn 8, 20 – 9, 17). La relation entre l’offrande et la bonté du cœur est si solide que Jésus dira : « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. » (Mt 5, 23-24). La qualité de notre relation avec nos frères et sœurs influence donc profondément nos offrandes au Seigneur. Dans le fond, à travers l’offrande, c’est le cœur qui se présente devant Dieu. Si le cœur est bon, l’offrande est agréable à Dieu ; autrement, il ne l’accepte pas.

Ces passages nous enseignent que notre activité, personnelle ou communautaire, peut être source de prière et se transformer en prière. Il s’agit de la présenter au Seigneur, en prélevant sur les biens qu’il nous fait, pour lui rendre grâce. D’ailleurs, la liturgie eucharistique inscrit cette vérité dans son rituel. À l’offertoire, le célébrant dit : « Tu es béni Dieu de l’univers, nous avons reçu de toi ce pain (et ce vin) que nous te présentons. Qu’il devienne pour nous le pain (le vin) de la vie éternelle (le vin du Royaume ». Plus encore, à côté de l’offrande, se perçoit la nécessité d’accorder son cœur au Seigneur. De plus en plus de personnes font, fort heureusement, des offrandes. Il sera important, avant toute offrande, d’enclencher une démarche qui nous conduise à nous ajuster à la volonté du Seigneur ; ce qui implique, sans aucun doute, que nous soyons en harmonie avec la création et avec nos frères et sœurs, les hommes.

Nous pouvons certes offrir les biens de la création au Seigneur. Mais la création, elle-même, dans son déploiement, peut inspirer notre prière. L’émerveillement devant le prodige de la création nous fait rendre gloire à Dieu et exalter sa grandeur. L’immensité de la création et la grandeur de l’homme, malgré sa petitesse dans ce magnifique tableau en extension, nous font entrer en extase et en adoration pour le Créateur. Un chant bien connu de tous, inspiré du Psaume 8, psaume de la création, exprime au mieux ce cri émerveillé de l’homme qui loue la grandeur de Dieu :

Par les cieux devant toi, splendeur et majesté Par l’infiniment grand, l’infiniment petit Et par le firmament, ton manteau étoilé, Et par frère soleil, je veux crier : Mon Dieu, tu es grand, tu es beau, Dieu vivant, Dieu très haut, tu es le Dieu d’amour ; Mon Dieu, tu es grand, tu es beau, Dieu vivant, Dieu très haut, Dieu présent, en toute création.

La création apparaît ainsi comme le premier livret de prière qui s’offre à tout homme. Un coucher de soleil, un lever du jour, la renaissance de la végétation après le temps d’hivers et de sécheresse, le gazouillement des oiseaux, tout peut inspirer la prière. Tout homme, chrétien ou non, peut louer le Seigneur pour la vie, la simple vie, la vie de chaque jour. La prière commence quand on invoque le nom de Dieu comme le Dieu grand, quand on dit simplement : « Seigneur, merci » de m’avoir créé, de m’avoir donné la vie.

Le cantique des trois enfants est indiqué pour unir nos voix à cette louange cosmique adressée au Dieu créateur : « Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le Seigneur ! à lui haute gloire, louange éternelle ! » (Daniel 3). Le Psaume 8, que nous évoquions tantôt est aussi inspirant pour chanter les merveilles de celui qui nous a tirés du néant pour que nous soyons participants de cette symphonie d’action de grâce. Avec la création, que toute notre vie rende gloire à Dieu.

O Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre ! Jusqu’aux cieux, ta splendeur est chantée

Par la bouche des enfants, des tout-petits : rempart que tu opposes à l’adversaire, où l’ennemi se brise en sa révolte.

À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la lune et les étoiles que tu fixas,

Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ?

Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur ;

Tu l’établis sur les œuvres de tes mains, tu mets toute chose à ses pieds :

Les troupeaux de bœufs et de brebis, et même les bêtes sauvages,

Les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui va son chemin dans les eaux.

O Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre !

La prière se manifeste dans les premières pages de la Bible comme l’offrande du cœur qui marche en accord avec le Seigneur. Elle aussi un cri émerveillé de reconnaissance à Dieu pour cette gigantesque œuvre d’amour. Tous les hommes au coeur droit savent élever cette prière au Seigneur. À partir du patriarche Abraham, nous rentrons dans les particularités de la prière chrétienne.

Abraham et la prière comme un combat de fidélité à la promesse

L’histoire d’Abraham, vue selon l’angle de la prière, se présente comme un combat de la foi en la promesse du Seigneur. Trois moments de sa vie suffisent à l’illustrer.

Les autels pour marquer la marche dans la foi

Le premier moment est la fréquence des autels dressés par notre « père dans la foi ». Ces autels ponctuent des étapes de l’alliance du Seigneur avec Abraham. L’autel, comme nous le savons, fait appel à l’offrande et au sacrifice. Les autels dressés par Abraham sont le rappel de l’action du Seigneur dans sa vie. Chaque autel symbolise un événement marquant de la vie d’Abraham dans sa relation avec le Seigneur. On peut aussi le dire immédiatement : chaque autel est le témoin des prières du patriarche et du renouvellement de sa confiance.

Il est étonnant de voir qu’à toutes ces étapes, la Parole de Dieu ne dit rien du contenu de la prière d’Abraham. Cette omission, loin d’être anodine, nous montre que la prière d’Abraham est d’abord et avant tout, une prière du silence. Avant que les premières paroles ne jaillissent de la bouche du premier homme appelé par Dieu à le suivre, il se plonge, longuement et à répétitions, dans le silence, pour laisser Dieu lui parler au creux de son cœur. En cela, la prière d’Abraham est fondamentalement un exercice à l’écoute du Seigneur. Elle nous révèle une dimension capitale de la prière qui est l’écoute silencieuse et soumission totale à Dieu. La prière étant un dialogue entre Dieu et l’homme, il importe d’accorder une place de choix au silence. Ce dernier fait partie intégrante de la communication. D’ailleurs, plus la prière est silencieuse, plus elle est profonde, car c’est précisément dans le silence total que Dieu commence à révéler sa présence. Nous y reviendrons plus loin quand il s’agira des conditions de la mise en présence du Seigneur.

Ces autels ponctuent les grands moments de l’histoire d’Abraham. Ce sont des actes significatifs. La prière d’Abraham est donc faite de gestes et de rites. Les actes que nous posons, sur le chemin de la foi, sont aussi des prières. Allumer une bougie, brûler de l’encens, dresser un oratoire chez soi, poser une croix au mur, etc., sont des actes qui enrichissent notre vie de prière avec le Seigneur. Offrir une place de choix dans sa maison à la « Parole de Dieu », placer une image de Jésus dans sa maison, imprimer une épitaphe spirituelle dans une grotte, sont peut-être des actes anodins pour des personnes étrangères aux motifs de leur présence, mais ils se révèlent comme des prières des profondeurs de nos silences et de la découverte de l’amour du Seigneur pour nous.

Ces autels montrent enfin qu’Abraham est conscient que Dieu marche avec lui et lui avec Dieu. Les grands événements de sa vie prennent un sens en Dieu. Ses gestes de foi deviennent son histoire. À ce sujet, le pape François dit :

« Nous pouvons dire que dans la vie d’Abraham, la foi devient histoire. La foi devient histoire. Plus encore, Abraham, avec sa vie, avec son exemple, nous enseigne d’ailleurs ce chemin, cette route sur laquelle la foi se fait histoire. Dieu n’est plus seulement vu dans les phénomènes cosmiques, comme un Dieu lointain, qui peut susciter la terreur. Le Dieu d’Abraham devient « mon Dieu », le Dieu de mon histoire personnelle, qui guide mes pas, qui ne m’abandonne pas ; le Dieu de mes jours, le compagnon de mes aventures ; le Dieu Providence. Je me demande et je vous demande : avons-nous cette expérience de Dieu ? « Mon Dieu », le Dieu qui m’accompagne, le Dieu de mon histoire personnelle, le Dieu qui guide mes pas, qui ne m’abandonne pas, le Dieu de mes jours ? Avons-nous cette expérience ? »

C’est vers le Dieu de son histoire qu’il se tournera pour intercéder hardiment en faveur de deux villes impies.

L’intercession pour Sodome et Gomorrhe

Le deuxième événement que nous distinguons dans la prière d’Abraham est son intercession auprès du « Visiteur mystérieux ». Alors qu’il venait d’être informé de la destruction prochaine des villes sacrilèges de Sodome et de Gomorrhe, Abraham va entrer dans une prière d’intercession, dont la témérité ne laisse indifférent aucun auditeur ni lecteur. Il faut être exercé dans l’intercession et surtout connaître la profondeur du cœur de Dieu pour pousser la demande jusqu’à ce bout. La prière d’intercession permet à Abraham d’aller chaque fois au-delà des limites qu’il s’est lui-même imposées. Il est passé de 50 justes à 10. La miséricorde de Dieu dépasse largement les limites de nos rationalités. En cela, se situe le combat du dépassement de soi-même dans la foi : demander ce qui nous semble humainement impossible à Dieu et l’obtenir de lui.

La prière d’Abraham, par anticipation, fournit un élément de réponse au désir des disciples de voir leur foi s’augmenter : la foi grandit, s’élargit et s’approfondit au creuset de la prière audacieuse. C’est d’ailleurs la même idée qui transparaît quand, après son enseignement sur la nécessité de prier sans se décourager, le Seigneur pose une question à laquelle le lecteur est convié à répondre : « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8). C’est une manière évidente de dire que la foi est inséparable de la prière. On peut même dire que le baromètre de la foi, c’est la prière. Et le combat de la foi d’Abraham, qui persévère dans la prière, jusqu’à l’irrationnel, nous le prouve aisément.

Croyons-nous quand nous prions pour nos frères et sœurs ? Savons-nous que, tout comme Abraham, une intercession, si elle veut être puissante, doit transiter par la miséricorde du Seigneur qui ne prend jamais plaisir à voir ses enfants dans le désastre ? Une bonne intercession trouve sa source non pas dans la situation pour laquelle on prie, mais dans l’effleurement de la compassion de Dieu pour son peuple. Celui qui persévère dans ce sens, dans sa prière d’intercession, touche les tréfonds du cœur de Dieu. La dernière leçon qu’on peut retenir de la prière d’Abraham vient du sacrifice de son fils Isaac.

Le sacrifice d’Isaac

Le troisième moment important de la prière d’Abraham est l’appel au sacrifice de son fils Isaac. Il convient de rappeler qu’Isaac est le fils sur lequel reposent toutes les promesses faites à Abraham : « Je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et le sable au bord de la mer ». Dieu demande de le sacrifier. Il faut avoir perdu la raison pour espérer que Dieu accomplirait sa promesse par un fils sacrifié. Abraham, la gorge serrée, mais résolument, marche vers la montagne du sacrifice pour offrir son fils unique au Seigneur.

Il faut se mettre à sa place pour comprendre le combat intérieur qu’il a dû mener contre la résistance de sa volonté, capable de désobéir à Dieu. Il ne faut pas plus pour que beaucoup de personnes résistent au saut dans le vide de la foi. Abraham fait le pas et, bien que « père », il accepte de donner son « fils unique » en sacrifice. Il a fallu se vaincre dans la prière pour conformer sa volonté à celle de son Dieu.

Ici précisément, la prière produit la transformation de l’homme pour qu’il soit totalement image et ressemblance de Dieu. En clair, en acceptant d’immoler son fils Isaac, Abraham est comme une figure de Dieu le Père qui ne refuse pas son propre Fils pour le salut du monde. La prière comme combat de la foi permet donc à Abraham de ne jamais douter de Dieu, même si la raison lui fournit mille et un motifs de ne pas croire. Cela lui vaut d’être comparable à Dieu le Père qui a livré son propre Fils pour notre salut. La question que nous devons nous poser est visible : en quoi ma prière produit davantage en moi la ressemblance à Dieu lui-même ? Celui qui prie vraiment, ressemble chaque jour un peu plus à Dieu. Si Abraham, au cœur des événements de sa vie, a fini par voir s’accomplir les promesses de Dieu, c’est à cause de sa confiance en Dieu qui ne peut ni nous tromper ni se tromper. La victoire appartient à ceux qui persévèrent jusqu’au bout dans la prière.

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À suivre : La prière dans la vie de Moïse, de David et du prophète Eli.

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Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens

Cet article a 2 commentaires

  1. BONI Nicaise

    Merci Père pour cette option que vous avez choisie de nous découvrir la prière , la vie de prière telle que cela devrait être.
    Ma suggestion : n’est il possible devoir toute cette réflexion son forme d’ouvrage mit sur le marché ?
    Merci Père Oussou Kicho.

    1. Abbé Jean Oussou-Kicho

      Merci de nous encourager à cette tâche. Nous attendons d’avancer en eau profonde pour en juger de l’opportunité, dans l’humilité.

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