Prier en milieu hostile avec Daniel

Daniel dans la fosse aux lions
Daniel dans la fosse aux lions

Notre quête de la prière définie comme relation vraie, vivante et personnelle avec le Seigneur dans les événements de l’histoire nous a conduits sur les pas de quelques figures de proue de l’Ancien Testament, comme le patriarche Abraham, Moïse le fondateur du peuple d’Israël, David le plus grand roi et Élie, le plus grand prophète. Nos regards se tournent à présent vers un personnage, du nom de Daniel, classé parmi les quatre grands prophètes d’Israël. Sa prière nous intéresse à cause des circonstances historiques et géographiques particulières qui l’ont portée. Ainsi, nous allons découvrir le contexte de la vie de Daniel et l’enseignement à puiser de sa prière dans un pays étranger.

Daniel en pays étranger

Le livre de Daniel nous rapporte l’histoire d’un Juif vivant en exil. En effet, Les Juifs, par suite des guerres perdues, avaient été déportés de leur terre. Ils ont donc tout perdu. Ils n’ont plus de terre, ni de temple, ni de prophètes, ni rois. Le plus dramatique est qu’ils ne savaient même pas combien de temps allait durer ce calvaire.

En territoire étranger pendant l’exil et de retour chez eux avec l’avènement des Perses, les Juifs seront confrontés à un grave problème : la menace de la disparition de leur identité. Leurs nouveaux chefs vont vouloir les rendre semblables à eux, en cherchant à tout prix à effacer leur culture et leur vie spirituelle. Le peuple d’Israël va résister à travers quelques grands personnages, dont l’histoire est racontée dans le livre de Daniel.

Il s’agit donc de la défense de la foi et de l’identité de tout un peuple, présentée dans la résistance de Daniel et ses trois compagnons. C’est dans ce contexte que nous pouvons mieux comprendre la vie de prière du prophète Daniel.

Dans les difficultés, se tourner vers Dieu

Le livre de Daniel nous montre que le chrétien, malgré les contrariétés de la vie, doit se tourner vers Dieu. Trois jeunes gens, compagnons de Daniel, Ananias, Azarias et Misaël de leur nom hébreu et respectivement Shadrach, Meshach et Abed-nego en chaldéen et en arménien, sont les personnages centraux qui seront confrontés à la férocité des témoins qui les dénoncent de ne pas vouloir adorer les statues du roi. Ils ne s’en sont d’ailleurs pas cachés, puisqu’ils diront de vives voix au roi Nabuchodonosor qu’ils n’adoreront pas ses statues. Devant leur refus de l’idolâtrie, le roi les fait jeter dans la fournaise ardente de feu. Daniel lui aussi connaîtra un sort analogue quand il sera jeté dans la fosse aux lions, par fidélité au Dieu de ses pères (cf. Dn 6).

Le chemin de la foi est jonché d’épreuves et de persécutions. Bien de réalités du monde sont sacralisées et divinisées. Les puissants du monde ont leurs idoles qu’ils exigent au peuple d’adorer : il s’agit, si ce n’est leur propre personne, des lois, des statistiques, de la force des armes, le sexe et ses industries, et que sais-je encore ? Les veaux d’or ont plusieurs visages aujourd’hui. Leur dénominateur commun, c’est le pouvoir, quel qu’il soit, dieu au pied duquel tout genou est appelé à fléchir. Le chrétien ne peut adorer aucune de ses nouvelles idoles et il est parfaitement capable de le dire de manière audible sans craindre la terreur de la persécution ou même l’inéluctable verdict de la mort. Mais à condition.

Cette dernière est la prière qui vient soutenir la foi. Les trois enfants jetés dans la fournaise ardente louaient et bénissaient Dieu en présence des anges. Il s’agit là d’une attitude plus qu’en opposition à ce que nous observons aujourd’hui, où au cœur des difficultés, l’on ne sait plus s’en remettre à la volonté de Dieu. Au contraire, beaucoup de personnes sont prêtes à multiplier les prières de combats pour éloigner ce qu’elles interprètent dans la chair comme un mal à fuir à tout prix, mais dans l’acception duquel le Seigneur peut faire de grandes choses. Les trois jeunes hommes furent jetés dans la fournaise surchauffée. Ceux qui les y ont plongés sont morts du fait de la chaleur. Les trois enfants, quant à eux, « marchaient au milieu de la flamme en célébrant Dieu et en bénissant le Seigneur (Dn 3, 24). Ils nous manifestent ainsi la puissance de la confiance en Dieu qui, ici, se manifeste par l’action de grâce.

Dans les difficultés, il faut se tourner vers le Seigneur et lui rendre grâce. L’action de grâce, en effet, possède en elle une puissance de libération. Qui rend grâce à Dieu en toute circonstance (bonne ou mauvaise) montre, par cette disposition de reconnaissance, qu’il a le même regard que Dieu sur tous les évènements de sa vie. Ceci ne signifie pas qu’on ne puisse pas éprouver la douleur dans la chair. Nous voulons faire comprendre que la douleur est supportable quand, persécuté pour la vérité et la justice, nous avons la grâce d’interpréter ce qui nous arrive du point de vue de Dieu. Frères et sœurs, si nous avons la même lecture que Dieu sur les événements de notre vie, nous serons dans la joie, car nous finirons par découvrir que toute situation difficile, qui ne soit pas une conséquence de notre infidélité à Dieu, tourne finalement à notre avantage.

Il ne faut donc pas se lasser de rendre grâce à Dieu, surtout quand tout va mal. Celui qui fait confiance au Seigneur dans l’épreuve n’est jamais abandonné de lui. On peut ne pas apercevoir immédiatement la présence du Seigneur. Pourtant, il est bien là et agissant. Voyons de près le contenu de cette prière de Daniel et de ses compagnons.

Pardon et miséricorde dans la prière de Daniel

Du contenu de la prière de Daniel comme de ses trois compagnons, il ressort la conscience claire d’avoir offensé le Seigneur, la confession de sa justice et le recours à sa miséricorde.

Seigneur, nous avons péché

La prière s’ouvre par la louange de Dieu et la reconnaissance de sa justice :

« Béni sois-tu, Seigneur, Dieu de nos pères, loué sois-tu, glorifié soit ton nom pour les siècles ! Oui, tu es juste en tout ce que tu as fait ! Toutes tes œuvres sont vraies ; ils sont droits, tes chemins, et tous tes jugements sont vérité. Tes sentences de vérité, tu les as exécutées par tout ce que tu nous as infligé, à nous et à Jérusalem, la ville sainte de nos pères. Avec vérité et justice, tu as infligé tout cela à cause de nos péchés ».

Nous sommes donc vraiment dans une prière d’action de grâce. Mais cela n’empêche de reconnaître son péché. Les trois jeunes hommes d’un côté et Daniel de l’autre, chaque part dans sa prière, reconnaîtra que tout ce mal arrive au peuple à cause précisément de l’infidélité du peuple à Dieu, à cause de son péché. En cela, les trois orants prient au nom du peuple en implorant le pardon de Dieu :

« Car nous avons péché ; quand nous t’avons quitté, nous avons fait le mal : en tout, nous avons failli. Nous n’avons pas écouté tes commandements, nous n’avons pas observé ni accompli ce qui nous était commandé pour notre bien. Oui, tout ce que tu nous as infligé, tout ce que tu nous as fait, tu l’as fait par un jugement de vérité. Tu nous as livrés aux mains de nos ennemis, gens sans loi, les plus odieux des renégats, à un roi injuste, le pire de toute la terre. Maintenant, nous ne pouvons plus ouvrir la bouche : ceux qui te servent et qui t’adorent n’ont plus en partage que la honte et l’injure. »

La prière de Daniel reste dans la même logique. Il confesse vertement le péché du peuple. Il va jusqu’à reconnaître que tout ce qui a été prédit dans la loi comme sanctions à l’infidélité est tombé sur eux :

« Tout Israël a transgressé ta loi, il s’est détourné sans écouter ta voix. Alors, les malédictions et les menaces inscrites dans la loi de Moïse, le serviteur de Dieu, se sont répandues sur nous, parce que nous avons péché contre le Seigneur. Celui-ci a mis à exécution les paroles prononcées contre nous et contre nos gouvernants. Il a fait venir contre nous une calamité si grande que, nulle part, il ne s’en est produit de semblable sous les cieux, sauf à Jérusalem. Tout ce malheur est venu sur nous, selon ce qui est écrit dans la loi de Moïse. Mais nous n’avons pas apaisé la face du Seigneur notre Dieu, puisque nous ne sommes pas revenus de nos fautes en prêtant attention à la vérité. Le Seigneur a veillé à ce que le malheur nous atteigne, car le Seigneur notre Dieu est juste en tout ce qu’il accomplit, mais nous n’avons pas écouté sa voix. »

Pour les trois compagnons de Daniel, le péché et l’infidélité à Dieu ont réduit le peuple à néant :

« Nous voici, ô Maître, le moins nombreux de tous les peuples, humiliés aujourd’hui sur toute la terre, à cause de nos péchés. Il n’est plus, en ce temps, ni prince ni chef ni prophète, plus d’holocauste ni de sacrifice, plus d’oblation ni d’offrande d’encens, plus de lieu où t’offrir nos prémices pour obtenir ta miséricorde. » (Dn 3, 37-38)

Il est intéressant de voir qu’en aucun de ses mots, Daniel et ses trois compagnons n’accusent le Seigneur. Dieu n’est pas responsable du mal qui arrive à l’homme. La souffrance advient dans notre vie soit par notre infidélité soit par le péché qui parle au cœur de l’impie et qui torpille le croyant. Le peuple d’Israël ne le sait que trop. Les trois jeunes sont conscients que leur peuple est entièrement responsable du mal qui lui arrive, à cause justement de l’endurcissement de leur cœur. Cependant, il existe un moyen pour entrer à nouveau dans les grâces divines. Le premier est la reconnaissance et la confession de son péché. Le deuxième moyen est d’implorer sa miséricorde. Daniel et ses compagnons, dans leurs prières respectives, y recourt abondamment.

Traite-nous selon ta miséricorde

Quand le péché sème la ruine, il n’a plus rien à offrir, sauf une seule attitude. Ananias, Azarias et Misaël ne s’y trompent pas. Unanimement, ils disent : « avec nos cœurs brisés, nos esprits humiliés, reçois-nous, comme un holocauste de béliers, de taureaux, d’agneaux gras par milliers. Que notre sacrifice, en ce jour, trouve grâce devant toi, car il n’est pas de honte pour qui espère en toi. » (Dn 9, 39-40). Le plus grand pécheur du monde possède encore un espace pour prier : c’est de présenter son humilité et son regret à Dieu. Tout homme peut prier ; tous, sans exception, car nous sommes tous pécheurs.

Daniel en appelle à la bonté de Dieu, selon sa promesse aux anciens et par fidélité à son propre nom. Au point où les choses en sont arrivées, les actes de justice du peuple ne peuvent pas le sauver du mal qui leur arrive. Seule la miséricorde de Dieu peut les en délivrer :

« Et maintenant, notre Dieu, écoute la prière de ton serviteur et ses supplications. Pour ta cause, Seigneur, fais briller ton visage sur ton Lieu saint dévasté. Mon Dieu, tends l’oreille et écoute, ouvre les yeux et regarde nos dévastations et la ville sur laquelle on invoque ton nom. Si nous déposons nos supplications devant toi, ce n’est pas au titre de nos œuvres de justice, mais de ta grande miséricorde. »

Finalement, l’homme ne peut pas se prévaloir de ses mérites, de ses efforts pour réclamer quoi que ce soit de Dieu. Les trois amis de Daniel font recours à leur « pères » Abraham son ami, Isaac son serviteur et de Jacob son consacré. Nous chrétiens, nous demanderons pardon à Dieu, non pas par suite de nos efforts, mais par la passion, la mort et la résurrection de son Fils, notre Seigneur, Jésus-Christ. Devant le drame du péché, c’est simplement la miséricorde de Dieu qui peut purifier.

Les conséquences du pardon retrouvé

La première conséquence est que Dieu libère des flammes infernales les trois jeunes hommes comme il épargne la chair de Daniel aux dents des fauves. Ici et là, le Seigneur envoie son ange en sorte que les entrailles de la mort deviennent favorables à celui qui met sa confiance en Dieu : « le feu n’avait pas eu de pouvoir sur leurs corps, leurs cheveux n’avaient pas été brûlés, leurs manteaux n’avaient pas été abîmés et l’odeur de feu ne les avait pas imprégnés » (Dn 3, 94).

C’est une certitude que même dans la vallée de la mort, le croyant fidèle à Dieu ne peut craindre aucun mal, car Dieu est avec lui. Nos prières ne sont donc pas vaines. Dieu n’est jamais insensible à la prière de demande de pardon de l’homme, quelle que soit la nature de son péché. Et si un juste persécuté est dans les mailles des ennemis, le Seigneur trouve un moyen pour le sortir d’affaire : l’histoire de Joseph et de Jérémie, tous deux jetés dans un puits et sauvés miraculeusement par Dieu, nous en convainquent aisément. Le pardon de Dieu va relancer autrement l’action de grâce des trois jeunes juifs sages de la cour royale. Dans le feu, ils vont chanter un cantique qui nous parviendra : le cantique des créatures.

La deuxième conséquence est que toutes la création est invitée à la louange. Il s’agit finalement d’une louange cosmique. L’homme invite la création à la joie d’avoir trouvé grâce auprès de Dieu. On pourrait dire que tous les éléments de la création se réjouissent du fait que l’homme soit réconcilié à Dieu. Le péché de l’homme influe sur la beauté et l’intégrité de la création. Pardonné, l’homme peut se servir des créatures pour entrer dans la louange. La vraie louange, celle que Dieu veut, est celle de toute la création en union avec l’homme pour chanter les merveilles de leur Créateur. La vraie raison d’être de la création, l’homme étant son sommet, c’est de louer Dieu : « Tout ce qui vit et qui respire, chante louange au Seigneur ». (Ps 150, 6).

La troisième conséquence est la conversion des cœurs fermés à Dieu. Cette louange qui associe toute la création possède une puissance telle que Nabuchodonosor confesse le Dieu d’Israël. Il dit :

« Béni soit le Dieu de Sidrac, Misac et Abdénago, qui a envoyé son ange et délivré ses serviteurs ! Ils ont mis leur confiance en lui, et ils ont désobéi à l’ordre du roi ; ils ont livré leur corps plutôt que de servir et d’adorer un autre dieu que leur Dieu. Voici ce que j’ordonne à tous les peuples, nations et gens de toutes langues : Si quelqu’un parle avec insolence du Dieu de Sidrac, Misac et Abdénago, qu’il soit mis en pièces et sa maison transformée en décombres. Car aucun autre dieu ne peut délivrer de cette manière. »

Le roi Darius a la même réaction après la libération de Daniel de la fosse aux lions. Il dit :

« Voici l’ordre que je donne : Dans toute l’étendue de mon empire, on doit trembler de crainte devant le Dieu de Daniel, car il est le Dieu vivant, il demeure éternellement ; son règne ne sera pas détruit, sa souveraineté n’aura pas de fin. Il délivre et il sauve, il accomplit des signes et des prodiges, au ciel et sur la terre, lui qui a sauvé Daniel de la griffe des lions. »

Si les chrétiens pouvaient comprendre la puissance de l’action de grâce pour la conversion des cœurs, ils passeraient toute leur vie à chanter tous ensemble. Devant les nations païennes, la louange commune adressée à Dieu, louange qui associe la création, est l’une des meilleures armes pour obtenir la conversion des cœurs.

La quatrième et dernière conséquence est l’harmonie sociale retrouvée. L’ennemi convaincu de la puissance de Dieu se transforme en l’ami qui protège. Il détruit même les accusateurs (cf. Dn 6, 25). Nabuchodonosor va protéger les trois compagnons et leur offrir une meilleure situation sociale : « Et le roi assura la prospérité de Sidrac, Misac et Abdénago, dans la province de Babylone. » (Dn 3, 97). Daniel prospérera lui aussi sous le roi Darius et le roi Cyrus. Tout ceci s’apparente à la « résurrection », à la pleine vie retrouvée. Dieu élève les humbles. De fait, la situation finale est largement meilleure à celle initiale. Ils sont « entrés dans l’eau et le feu, tu (les) as fait sortir vers l’abondance » (Ps 65, 12).

En situant le chrétien dans le milieu étranger, milieu d’incroyance, le livre de Daniel nous invite à la prière confiante en Dieu. Cette prière consiste à reconnaître notre responsabilité individuelle et collective dans la mal qui nous ronge et nous détruit. Elle recourra à la miséricorde de Dieu, avec sincérité. Elle chantera les merveilles de Dieu avec la création tout entière. Et dès lors, elle peut transformer les cœurs arides et nous donner une nouvelle vie.

En territoire étranger, dans un climat de domination et de persécution, le chrétien apparaît comme un missionnaire. Son témoignage sera éloquent et entraînant si et seulement s’il met toute sa confiance dans le Seigneur en le priant et en le bénissant pour les croix qui le visiteront. En ce moment-là, les barrières montagneuses s’aplanissent pour confesser que Dieu est unique, le Dieu que Jésus nous a révélé.

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Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens

Cet article a 3 commentaires

  1. DANDJINOU Dossi Edith

    Que le seigneur nous apprenne à reconnaître, à nous accuser de nos péchés au moment d’épreuves, de difficultés pour recevoir sa miséricorde. Qu’il nous apprenne également à lui rendre grâce en tout temps et en tout lieu. Amen

  2. Katunga Miji Ben

    Merci pour cet enseignement qui nous apprend à comprendre la vraie cause de notre malheur, qui n’est autre que nos péchés.

  3. Mado Maria

    Merci bcp encore

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