Quand l’âme a été réduite et fondue par le feu divin, quand elle a été rendue profondément ductile [NDLR : malléable], et comme liquéfiée, que reste-t-il, sinon à mettre devant elle la volonté de Dieu, bonne, agréable et parfaite, comme l’exemplaire de la perfection consommée où elle prendra sa forme? Le métal en fusion, partout où on lui laisse un passage, s’écoule rapidement vers le bas ; ainsi l’âme en cet état s’abaisse spontanément à n’importe quel acte d’obéissance, elle incline volontiers à tout acte d’humilité en suivant la disposition et l’ordre de Dieu.
En cet état, l’âme se voit proposer comme exemplaire l’humilité du Christ, par cette parole : Ayez entre vous les dispositions que l’on doit avoir dans le Christ Jésus : lui qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu, mais il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix. Voilà l’humilité du Christ, qui est l’exemplaire auquel doit se conformer quiconque veut atteindre le suprême degré de la charité parfaite. Car il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.
Ils sont parvenus à l’extrême pointe de la charité, ils sont déjà dans le quatrième degré de la charité, ceux qui peuvent donner leur vie pour leurs amis et accomplir cette parole de l’Apôtre : Oui, cherchez à imiter Dieu, puisque vous êtes ses enfants bien-aimés. Vivez dans l’amour comme le Christ vous a aimés et s’est livré pour vous en offrant à Dieu le sacrifice qui pouvait lui plaire. Dans le troisième degré l’âme se glorifiait en Dieu, dans le quatrième elle s’abaisse pour l’amour de Dieu. Dans le troisième elle adoptait la ressemblance de la splendeur divine ; mais dans le quatrième elle prend celle de l’humilité du Christ. Au troisième degré, on est, pour ainsi dire, mort en Dieu ; au quatrième, on ressuscite dans le Christ. Celui qui est dans le quatrième degré peut dire en toute vérité : Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi.
Un tel homme devient une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né. Au troisième degré, il était mort ; au quatrième, il est comme ressuscité des morts : il ne meurt plus, sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. Lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il est vivant. En ce degré, l’âme devient d’une certaine manière immortelle et soustraite à la souffrance.
Traité de Richard de Saint-Victor, prêtre
Sur les Quatre degrés de la violente charité
Richard de Saint-Victor, né vers 1110 et mort le samedi 10 mars 1173, est un moine écossais ou irlandais, mystique, et prieur de l’abbaye Saint-Victor de Paris de 1162 à sa mort.
Hymne
À toi Dieu, notre louange !
Nous t’acclamons, tu es Seigneur !
À toi Père éternel,
L’hymne de l’univers.
Devant toi se prosternent les archanges,
les anges et les esprits des cieux ;
ils te rendent grâce ;
ils adorent et ils chantent :
Saint, Saint, Saint, le Seigneur,
Dieu de l’univers ;
le ciel et la terre sont remplis de ta gloire.
C’est toi que les Apôtres glorifient,
toi que proclament les prophètes,
toi dont témoignent les martyrs ;
c’est toi que par le monde entier
l’Église annonce et reconnaît.
Dieu, nous t’adorons :
Père infiniment saint,
Fils éternel et bien-aimé,
Esprit de puissance et de paix.
Christ, le Fils du Dieu vivant,
le Seigneur de la gloire,
tu n’as pas craint de prendre chair
dans le corps d’une vierge
pour libérer l’humanité captive.
Par ta victoire sur la mort,
tu as ouvert à tout croyant
les portes du Royaume ;
tu règnes à la droite du Père ;
tu viendras pour le jugement.
Montre-toi le défenseur et l’ami
des hommes sauvés par ton sang :
prends-les avec tous les saints
dans ta joie et dans ta lumière.
Oraison
Dieu, qui donnes la preuve suprême de ta puissance lorsque tu patientes et prends pitié, sans te lasser, accorde nous ta grâce : en nous hâtant vers les biens que tu promets, nous parviendrons au bonheur du ciel.
