L’homme quittera son père et sa mère

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Le premier principe pour une vie réussie de couple se trouve dans la nécessité pour l’homme et la femme « quitter père et mère » (Gn 2, 24a). Cette expression nécessite quelques précisions que vous découvrirez dans les lignes qui vont suivre. Il y a en effet des erreurs de sens à éviter mais aussi des compréhensions nouvelles à avoir.

Les erreurs de sens

Je ne nie pas la difficulté à tenir ensemble l’ordre de « quitter son père et sa mère   » et le 4ème commandement qui enjoint que l’homme « honore son père et sa mère   ». Il est cependant clair que « quitter ses parents   » ne signifie pas les déshonorer, les mépriser, car le commandement divin demande qu’ils soient honorés et respectés. Les nouveaux mariés n’ont pas à déprécier leurs belles-familles comme si les beaux-pères et les belles-mères étaient des ennemis à écarter, à défaut de les combattre. Quitter ses parents n’indique donc pas de rompre les amarres avec eux et de les abandonner complètement. Quitter appelle plutôt une progression de la relation que l’enfant entretient avec ses parents.

Quitter signifie « prendre une distance »

D’un point de vue matériel, « quitter son père et sa mère   » peut s’entendre de la séparation du garçon (et de la fille) avec sa famille. Une distance géographique est indispensable pour qu’advienne cette première exigence d’une vie commune réussie. L’expérience a prouvé que beaucoup de couples retrouvent leur autonomie de vie et de choix quand ils s’éloignent de la famille naturelle. Ils sortent du cocon familial pour une confrontation aux multiples exigences de la vie. C’est la genèse d’un nouveau processus d’éducation et de maturation, de confrontation de soi à la vie d’autoévaluation. Le moment précis qui enclenche cette séparation est ce que nous appelons chez nous en Afrique « la petit dot   ». Cette dernière, même si elle ne scelle pas le consentement matrimonial, permet de savoir que deux personnes bien connues, sont en cheminement pour se marier.

Le jeune garçon doit apprendre à vivre seul, loin des parents, pour gérer sa nouvelle maison, avec courage et abnégation. C’est là qu’il découvre la difficulté à se prendre en charge, à s’organiser, à se discipliner, à faire des choix responsables. Quitter nécessite donc une indépendance économique vis-à-vis des parents. Il est difficile de comprendre que les parents continuent de nourrir leurs enfants mariés sous leur toit. Dans cette posture, le mari-enfant aura du mal à devenir autonome dans la prise de décision en ce qui concerne la gestion de sa famille.

La future épouse, elle reste à la maison. Son processus d’autonomisation se remarque dans la part de responsabilité qu’elle prend dans la gestion de la maison et dans une gestion plus ou moins autonome de ses finances, dans une proximité plus accrue avec sa mère qui lui inculque le comportement de son futur état de vie. C’est en ce moment qu’elle investit dans le nécessaire des choses à avoir pour commencer à gérer son futur foyer en tant qu’épouse et de femme. Il s’agit d’une véritable transmission de valeur.

« Quitter père et mère   » revient donc à prendre une distance pour s’autoévaluer et se préparer à accueillir sa femme (ou rejoindre son mari), et plus tard des enfants. Comment pourraient-ils gérer une autre personne s’ils ne savent pas se gérer eux-mêmes  ? La séparation physique de l’homme, en s’inspirant de la Bible, est donc nécessaire pour permettre la maturité psychoaffective des futurs mariés. Ce qui est dit de l’individu est aussi vrai pour le couple. Il faut sortir de la sécurité matérielle de la famille pour mener une vie de couple, avec ses tâtonnements.

Quitter signifie « devenir autonome  »

« Quitter son père et sa mère   » signifie aussi se libérer d’une forme de domination parentale qui mélange le respect dû aux parents et l’obligation de distance à prendre pour des décisions responsables. Il faut certes quitter physiquement, il faut aussi une rupture d’infantilisation, qui maintient dans une relation de subordination, donc d’enfants devant obéir scrupuleusement aux parents. Nous savons que la paternité et la maternité sont l’incarnation de l’autorité. L’autorité des parents sur les enfants à la maison et celle qui doit s’exercer sur eux une fois mariés ne devraient pas être la même.

Or, parfois, une certaine présence des parents peut dépasser le cadre des conseils pour devenir une ingérence ou une intrusion autoritaire dans la vie du couple. Il faut être clair que la plupart des parents connaissent bien les limites de leur engagement vis-à-vis de leurs enfants, au moment où ceux-ci doivent entrer dans la vie adulte par la porte du mariage. Beaucoup font un accompagnement responsable et il faut les en féliciter.

Néanmoins, il s’en trouve qui s’immiscent dans la vie des jeunes couples, les traitant d’enfants et se donnant le droit de leur donner des injonctions, à temps et à contretemps. Il est vrai que le regard des parents est bienfaisant, dans la mesure où il est libérateur. Quand il devient une oppression, cela peut porter atteinte à l’épanouissement du couple. C’est de cette présence oppressante qu’il faut se libérer à tout prix et non du regard bienveillant. Les exemples foisonnent en cette matière.

Il ne suffira pas seulement d’aller faire son nid ailleurs, il faut aussi apprendre à quitter ce modèle de relation pour se former un meilleur modèle. La conception de la vie du couple chez les parents appelle peut-être une amélioration. La relation parents et enfants pourrait imposer quelques réglages à mon niveau… Il s’agit de garder le meilleur de ce que nous avons vu les parents vivre et accepter de ne pas répliquer ce qui a moins fonctionné. Cela nécessite donc de quitter.

Quitter signifie « finir avec la vie de célibataire »

Quitter oblige aussi, une fois avec sa femme, à oublier la vie de célibataire menée auparavant pour la vie de couple, oublier la vie d’indépendance pour une vie d’interdépendance. Celui qui vit en couple et veut aller loin, doit sacrifier ce pan de sa vie. Il est surprenant de constater que beaucoup de personnes se marient et tiennent encore à mener leur vie antérieure au mariage. Ils veulent encore conserver leur liberté d’action, de parole et de pensée. Ils veulent rester en relation avec leurs amis, sortir comme avant. Un jeune homme a pu formuler une demande pour le moins curieuse à sa copine  : « Me permets-tu, quand nous serons mariés, que je sois en contact avec mon ex  ?   ». Ce jeune, immanquablement, n’est pas encore prêt pour s’engager dans le couple.

Quand la Parole de Dieu enjoint à celui qui vit dans le couple de « quitter son père et sa mère   », il s’agit aussi de sortir de la vie de célibat, la vie d’enfant sans souci où l’on ne vit que pour soi-même, la vie de copains et copines, qui n’ont pas les mêmes responsabilités désormais. Dans le couple, on ne vit plus pour soi-même, mais pour son conjoint. La liberté n’est plus absolue ; elle est partagée désormais et ne cessera d’être partagée tant qu’une vie viendra dans le couple. C’est une règle fondamentale à garder.

Quitter est la première réponse à la vocation au mariage

Avant de conclure, il est important de noter que le verbe « quitter   » a un lien intrinsèque avec la « vocation   ». Toute vocation exige que l’on quitte un site pour un autre. Il suffit de méditer la vocation de chacun des grandes figures bibliques, les patriarches, les prophètes et les disciples du Christ pour comprendre qu’au commencement de toute vocation se trouve l’ordre de « quitter ». Le Seigneur invite Abraham à quitter son pays et la maison de son père pour entrer dans la grande bénédiction qui fera de lui le père d’une multitude de croyant (Gn 12). Si le mariage est une vocation, il exige donc que l’on quitte précisément la condition qui ne permettra jamais de répondre à une telle vocation : celle de dépendance totale de ses parents. Ceux qui n’ont pas encore fait ce mouvement intérieur de quitter une forme d’autorité parentale, qui les infantilise, ne sont pas prêts pour répondre à cette vocation. Et même si mariés, ils vivent dans cette mentalité, c’est qu’ils ne sont pas pleinement dans leur vocation. Pour cette première partie, dans l’obligation de « quitter   », il y a, tenez-vous tranquilles, un appel à mourir, comme une obligation de métamorphose. La vie de couple est une nouvelle réalité qui nous astreint à mourir au préalable  : mourir à ses parents sans pour autant cesser de les honorer, mourir à la dépendance de choix sans jeter les valeurs reçues dans l’éducation, mourir à ses accès de colère, mourir à sa condition de célibataire sans chercher à garder tous les amis, mourir à un attachement parental et territorial pour répondre pleinement à sa vocation. Les parents doivent apprendre, pendant la croissance de leur fils ou de leur fille, à inscrire progressivement le renoncement dans leur vie. C’est à tous les niveaux de croissance. S’ils ne l’apprennent pas en famille, ce sera plus difficile de le vivre en couple. Et ce renoncement, cette mort, est inconditionnelle pour la réussite d’une vie de couple. Le niveau 2, comme vous l’imaginer, c’est le verbe « s’attacher   »  : « il s’attachera à sa femme ».
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Abbé Jean Oussou-Kicho

Je suis prêtre de l’archidiocèse de Cotonou (Bénin), ordonné en 2008, licencié en théologie morale. Directeur de complexe scolaire, je suis investi dans la pastorale des réseaux sociaux, devenus un nouveau terrain propice pour l’évangélisation et l’éducation des chrétiens